Les iraniens se ressentent comme les descendants d’une culture deux fois millénaire, ce qui peut paraître paradoxal pour un peuple aussi mélangé : aujourd’hui la population iranienne est constituée pour moitié de Persans (descendant des Elamites et des Aryens dont nous parlerons plus tard) et pour l’autre d’une collection de peuples présents sur ses frontières : les Azéris- les Turcs de confession chiite pour 25%-, des Kurdes (descendants des Mèdes) pour 10% ainsi que des Arabes, des Lors, des Turkmènes, des Baloutches et diverses tribus nomades. Un peu d’histoire éclairera le lecteur sur les raisons d’un tel mélange. La civilisation iranienne, si tant est qu’elle est unifiée, remonte au IIIème millénaire avant Jésus Christ, vers la frontière avec la Sumérie (l’origine de l’écriture), soit l’Irak actuel. Ce sont les Elamites. Leur capitale est Suse et leur royaume allait des bords du Tigre jusqu’au sud de l’Iran actuel. A cette même époque- et déjà l’histoire se corse- des tribus aryennes annexaient le nord de l’Iran, poussant les Perses plus vers le sud. Enfin un dernier peuple se sedentarise dans l’Ouest du Pays : ce sont les Mèdes, qui seront responsables de la chute de l’empire assyrien (la Syrie actuelle). Ce sont bien ces derniers qui dominent alors la région. Mais, vers le VIIème siècle av JC, le roi d’une tribu perse, Achéménès –qui créera la dynastie achéménide-unifie son royaume et crée le premier empire perse. Son arrière petit-fils, Cyrus le grand met fin à l’hégémonie mèdes et étendit le royaume perse vers la Turquie et le Pakistan. Son fils en fit un des plus grands empires ayant jamais existé en annexant l’Egypte et la côte lybienne. Décédé mystérieusement, son cousin Darius prit le relai, structura le royaume, édifia Persépolis et imposa le Zoroastrisme, la première religion monothéiste du monde en religion d’Etat. A son apogée, la civilisation achéménide était une des plus brillantes de l’Antiquité : les routes étaient pavées, parsemées de caravansérails et utilisées par le premier service postal de l’humanité. Mais après la révolte des colonies grecques d’Asie mineure (la Turquie actuelle), Darius voulut anéantir les cités-Etats. Ses armées furent battues à Marathon (486 av JC). C’est cependant Alexandre le Grand qui mit fin au premier empire perse à Gaugamèle (331 av JC). L’empire d’Alexandre fut à sa mort partagé entre ses lieutenants, l’Iran actuel passa sous la férule des séleucides macédoniens. Le grec remplaca alors l’araméen en tant que lingua franca. Les séleucides ne résistèrent pas longtemps à l’invasion des Parthes, peuple venu des environs de la Mer d’Aral et qui sous le règne de leur roi Mithridate (vers 150 av JC) annexèrent l’ensemble de l’Iran. C’est sous cette dynastie qu’eut lieu le premier essor de l’architecture persane. Vers le 3ème siècle, une nouvelle tribu fit tomber les Parthes : les Sassanides. Ceux ci parlaient le Pahlavi, une langue dont est dérivée le farsi actuel (la langue de l’Iran moderne). Affaiblie par les guerres incessantes avec Byzance, cette dynastie ne put résister à l’offensive arabe de 637. La Perse fut alors gouvernée par les califes de Damas (Omeyyades) jusqu’en 750 où une rébellion chiite porta la dynastie abbasside au pouvoir. Celle ci établit sa capitale à Bagdad. Le Califat abbasside inaugura une période d’essor intellectuel au cours de laquelle l’arabe supplanta le farsi. Au cours du IXème siècle, le pouvoir abbasside commença à se lézarder, laissant la place à des dynasties du nord qui firent renaître la langue persane. Mais pour se maintenir au pouvoir, celles ci eurent recours à des armées turques qui finalement les supplantèrent. Ce furent les seldjoukides qui progressivement s’emparèrent du sud et y installèrent leur capitale : Ispahan. Sous leur règne, la perse connu un nouvel âge d’or, que ce soit dans la littérature (Omar Khayyam), les sciences ou l’art. Arrive alors Gengis Khan dont les hordes mongholes sonnèrent l’hallali de l’empire seldjoukide (nous sommes au XIIIème siècle). Son petit-fils, Hulagu se convertit à l’Islam et crée la dynastie des Ilkhanides. Celle-ci tomba sous les coups d’une nouvelle tribu venue de l’Ouzbékistan et dominée par un certain Tamerlan (Timour le boiteux)- Nous sommes alors au temps de Marco Polo. Alors que Mongols et Timourides s’affrontaient à l’Est, les tribus tukmènes se disputaient le pouvoir à l’ouest. Une nouvelle dynastie, provenant d’une secte chiite locale, prit alors de l’ampleur ; les séfévides qui connurent leur âge d’or sous Abbas le grand (début du 17ème siècle), qui écrasa les factions turkmènes et turques pour créer le troisième empire perse. C’est sous celle-ci que la plupart des constructions d’Ispahan eurent lieu et que le chiisme devint religion officielle. Mais, son grand roi disparu, elle ne fut pas assez forte pour repousser l’invasion afghane de 1722. Surgit un mercenaire, Nader Shah, qui repoussa les étrangers du pays et instaura une énième dynastie : les Qadjars. La capitale se déplaca alors à Téhéran. Les rois falots se succédèrent dont la caractéristique principale était de constituer une progéniture nombreuse qui dépecait le trésor public et ruinait l’Etat. Parallèlement, les russes et les anglais installaient leur influence et négociaient des avantages commerciaux abusifs qui mirent la population en émoi. La rébellion populaire s’affirma en 1907 et imposa la mise en place d’une constitution. Face à un pouvoir déliquescent, les anglais imposèrent un officier charismatique, Reza Khan qui réalisa un coup d’Etat en 1921 et installa la dernière dynastie persane : les Pahlavi. Le pays, à l’instar de la Turquie kémaliste, connu une modernisation rapide mais les richesses nationales restaient spoliées par les étranger ; Les anglais d’abord (l’Anglo Iranian Oil Cie est l’origine de la BP) puis les américains qui n’acceptèrent pas la nationalisation du pétrole iranien et fomentèrent un coup d’Etat (1953) qui aboutit à la chute du premier ministre nationaliste Mossadegh mais au maintien du Shah ; aux mains définitives des puissances étrangères. Malgré une volonté modernisatrice qui déplaisait aux religieux sans convaincre la nouvelle classe moyenne, le pouvoir du Shah commençait à vaciller. La récession économique mondiale suite au krach pétrolier de 1973 entraîna la chute des revenus pétroliers et celle du régime devenu totalitaire. L’ayatollah Khomeiny réussit ainsi à réunir une opposition hétéroclite allant des intégristes musulmans aux communistes. La suite est connue : dès 1979, l’Iran devient une république islamique autoritaire. Les exécutions sommaires furent pléthores. Puis survint la guerre avec l’Irak, certes provoquée par Saddam Hussein mais qui permit au pouvoir islamiste de cadriller la société iranienne et de promouvoir leur propagande. On se rappelera notamment des basijis, ces jeunes adolescents qui allaient déminer les terrains en les traversant à pied, persuadés de monter tout droit au paradis ! Ce conflit se termina en 1988, 1 an avant la mort de Khomeiny. Son titre de chef suprême échut à l’Ayatollah Khamenei alors que la présidence, jusque là plus honorifique qu’autre chose, reprit de la superbe suite à l’élection de Rafsandjani. Les modernistes gagnent alors du terrain et, surprise, un ayatollah réformateur, Khatami est élu en 1997 puis réélu en 2001. Reste que le vif espoir de libéralisation du pays est contraint par les cercles conservateurs et leur organe de contrôle du législatif, le conseil des gardiens, qui impose un veto sur une majorité de réformes. Depuis les conservateurs ont repris de la superbe : ils ont empêché la candidature des réformateurs aux élections parlementaires de 2004, provoquant une abstention importante et promurent un candidat obscur, Ahmadinjad à la présidence de la République. L’Iran apparaît plus que jamais comme un pays divisé. Certes les divisions ne sont plus ethniques ou dynastiques. Elles sont aujourd’hui sociales : il y a ceux qui possédaient, ceux qui possèdent et ceux qui veulent posséder.
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