Comme vous pouvez l’imaginer le secteur textile est essentiel à l’économie du pays : il représente certes seulement 4% du PIB, mais 20% de la production industrielle et le tiers des exportations du pays. Un autre chiffre conséquent : l’industrie textile, c’est 35 millions d’emploi !
La majorité des entreprises du secteur sont très petites et ont été longtemps protégées de toute concurrence par des lois qui leur accordaient le monopole de la production de tel ou tel type de vêtement. Ces micro-entreprises profitent de coût de main d’œuvre et de matières premières particulièrement bas mais n’ont jamais eu les moyens d’investir. Leur appareil de production est obsolète et la qualité de leur production faible. Pour donner un ordre d’idée, il faut rappeler qu’encore 20% de la production de tissu est encore réalisé à la main.
Reste que parallèlement à ces petites structures quelques grandes entreprises se sont développées, fortement automatisées, à forte valeur ajoutée et orientées vers l’exportation. Ce sont ces dernières qui nous intéresserons.
Les astrologues de la finance estiment que la part de marché de l’Inde dans le marché textile mondial passerait de 4% aujourd’hui à 8% d’ici 5 ans. Durant cette même période, remarquons qu’ils estiment que celle de la Chine pourrait atteindre 45%.
Quelles seraient les raisons d’un doublement de la part de marché de l’Inde en un temps si bref ? Elles sont au nombre de 4 :
Premièrement, le pays bénéficiera de la libéralisation des échanges dans le secteur textile.
La fin des quotas en 2005 a fait explosé la demande de produits textiles en provenance des pays asiatique. De plus, l’Inde vient d’accepter d’ouvrir le secteur textile aux Investissements étrangers. Aussi sur les 3 à 5 prochaines années, nous devrions observer une période d’accélération des délocalisations et un accroissement des approvisionnements en provenance de quelques pays à la main d’œuvre bon marché.
Deuxièmement, la réinstallation de quotas textiles temporaires en Europe et aux USA pour éviter un déferlement trop rapide des produits chinois, pousse les distributeurs occidentaux à s’approvisionner ailleurs.
Généralement, ces producteurs tentent de restreindre leur achats à quelques pays offrant une palette de produit et une intégration industrielle suffisantes. Selon les sondages auprès de Wal Mart (cf Citigroup), l’Inde ferait figure de pays favori pour des distributeurs qui ne veulent pas réduire leur approvisionnement à la seule Chine. On a même l’impression que les grands distributeurs américains testent leurs fournisseurs indiens (qualité de la chaine logistique, délai, prix…) avant un mouvement plus ample.
Troisièmement l’industrie textile indienne devrait bénéficier de la bonne conjoncture nationale
(une croissance de près de 7% en 2005) et de la constitution d’une classe moyenne à la recherche de produits plus chers. Les grands groupes de textiles locaux devraient être particulièrement favorisés car un grand nombre de contraintes qui leur étaient imposés ont été récemment levées ; la surtaxe qu’il devait payer pour protéger les PMEs ou encore l’interdiction de produire un certain nombre de produits réservés aux petites entreprises.
Quatrièmement, le gouvernement a mis le textile au premier rang de ses priorités et a passé un nouveau corpus de lois favorisant les industriels du textile
; les droits de douane ont été baissé sur les biens d’équipements, le droit du travail assoupli dans le secteur mais plus encore le gouvernement subventionne les nouveaux investissements. Sans se mettre à contrefaux de l’OMC (qui interdit les subventions à la production), le gouvernement indien propose de prendre en charge une partie des intérêts sur la dette liée à de nouveaux investissements, ramenant le coût de la dette à des niveaux d’entreprises occidentales. Par exemple, une entreprise qui empruntait avant à 8%, empruntera à 8-5% soit 3% ! Ceci explique la très forte progression des investissements des 9 plus grandes entreprises du secteur (*5 en 1 an) qui préfigure un boom des capacités de production.
La croissance de l’industrie textile en Inde pourrait être de l’ordre de 15 à 20% et celle des grandes entreprises encore supérieure.
La force de ces grandes entreprises de textiles en Inde reposent sur un certain nombre d’avantage :
Un coût de la main d’œuvre très bas.
Un ouvrier américain coûte 100 à son employeur. Un ouvrier chinois coûte 5 et un ouvrier indien 4, soit dit en passant, 20% moins cher que son homologue chinois ! C’est d’autant plus intéressant à noter que l’on observe des hausses de salaires en Chine malgré leur important réservoir de main d’œuvre.
L’accès à un coton très peu cher
(moins d’un euro le kilo) pour une matière qui peut représenter 25% des coûts de ces industriels. A savoir que l’Inde produit un quart des fils coton au monde. Il est aussi intéressant de noter que les prix du cotons en Inde pourraient rester bas, du fait d’une forte amélioration des rendements, donc des volumes. Les rendements en Inde sont en effet très bas comparativement aux autres pays dans le monde, mais l’introduction d’OGM a permis une hausse de 50% de ces rendements.
Une valeur ajoutée supérieure
: pour faire face à la concurrence chinoise et à la concurrence des petites entreprises indiennes, les grands industriels se sont concentrés sur les secteurs à plus forte intensité capitalistique et plus globalement sur des marchés niche (tissu complexe, broderies…). La preuve de la réussite des indiens se voit au niveau des prix moyens à la vente : alors que dans tous les pays il régresse, en Inde il progresse. En jouant sur la qualité (certification auprès des grands distributeurs), les indiens se sont constitués une image de marque à l’export qu’ils exploitent pour remonter la chaîne de production.
Globalement des coûts qui progressent moins que leur concurrent chinois (cf les coûts électriques en Chine). Reste que les industriels indiens sont défavorisés par rapport à leur homologues chinois du fait d’un manque d’infrastructures en Inde qui compliquerait la chaîne logistique (goulots d’étranglements) et du fait d’économies d’échelle moindres.
En somme, la vision du futur du textile des dirigeants indiens est la suivante :Au chinois, la monospécialité et les gros lots textiles, tout du moins sur les 10 prochaines années. Au indiens les produits à plus forte valeur ajoutée et les métiers plus capitalistiques (ie production de tissu complexe).
Alok Industries :
J’ai rencontré le management d’une des grandes entreprises indiennes de textile, qui m’a impressionné par sa transparence, sa vision stratégique et son audace. L’entreprise a plusieurs objectifs : monter en valeur ajoutée dans ses métiers historiques (la production de tissu), développer sa part vers l’export (aujourd’hui 25% des ventes mais d’ici 4 ans peut être 50%), se développer dans le textile maison (après les draps, maintenant les serviettes de toilette) en profitant de leur référencement auprès des grands distributeurs américains et de leur nombreuses certifications qualité.
Le groupe réalise plusieurs paris audacieux à la fois : il augmente fortement sa capacité de production et se développe dans de nouveaux métiers. Cette expansion dans de nouveaux métiers devrait permettre d’améliorer sa marge mais faut-il encore trouver les commandes pour remplir les nouvelles capacités de production. Les prochaines années s’annoncent donc comme des années de transition et d’incertitude.
Reste qu’Alok a plusieurs avantages :
Son métier historique (le tissage) est fortement capitalistique avec une part des salaires qui ne représentent que 2% du chiffre d’affaires. Le tissage est automatisé et l’important dans ce métier est d’accéder à une matière première la moins chère possible (ils ont déjà les économies d’échelle suffisante vue leur grande taille) et à un coût du capital faible pour acheter les biens d’équipements nécessaires (profitant des nouvelles subventions aux investissements, leur coût de la dette régresse).
Deuxièmement, son développement dans le textile maison est une réussite : il est plus difficile de vendre à Wal mart des draps quand on n’en a jamais fait plutôt que de vendre des serviettes de bain quand on vent déjà des draps.
Troisièmement, il faut noter que l’industrie textile est une industrie de lot et non de flux tendu. En étant intégré verticalement, Alok non seulement réalise des économies d’échelle mais sécurise son approvisionnement en coton, fil ou tissu dans des métiers ou la disponibilité des intrants n’est pas toujours évidente.
Enfin, leur développement dans la taille et la couture de vêtement reste marginal. Le groupe profitera d’un marché interne en pleine progression qui favorise dorénavant les grands groupes au détriment des micro-entreprises.
Alok industries subit actuellement une décote face à d’autres industriels indiens du fait d’une moindre présence à l’export (ils profiteront momentanément moins de la redirection des achats des grands distributeurs occidentaux vers l’Inde) et d’un plan d’expansion plus ambitieux donc plus risqué (pour un chiffre d’affaires de 12MM de Roupies, il devraient investir ces 3 prochaines années 12MM de roupies). Tout délai dans la mise en place de ces nouvelles capacités pourrait peser sur les résultats du groupe.
Le profil du groupe :
Le groupe réalise 25% de ses ventes à l’export, majoritairement aux Etats unis. Mais il vend une grande part de ses tissus à des fabricants de vêtement eux mêmes très orientés vers l’export.
Aujourd’hui la moitié des ses ventes sont réalisées dans la fabrication de tissu, 30% dans le fil et seulement 16% dans le textile de la maison. Suite à la mise en place des nouvelles capacité de production, le chiffre d’affaires pourrait se répartir comme suit (disons d’ici 3 ans) : 1 tiers dans le tissu, 15% dans le fil et 40% dans le linge de maison.
Le chiffre d’affaire de l’entreprise est de 12,3 milliards de roupies (240m€), pour une marge d’exploitation de 15,7% et une marge nette de 7,3%. Après une année de transition, le groupe pourrait réaliser un chiffre d’affaires l’année suivante de 22,4MMRs pour une marge nette de 9%. Son PE actuel est de l’ordre de 12 et d’ici 2 ans le groupe pourrait valoir seulement 7 fois ses bénéfices.
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