L’objet de cet article est de répondre à la question de mon patron, Hugues Dubly qui se demandait comment l’Inde allait pouvoir nourrir les 600 millions de personnes en plus qu’elle comptera d’ici 30 ans. L’enjeu est le suivant : aujourd’hui l’Inde est autosuffisante mais sa population croit de l’ordre de 20 millions de personnes par an. C’est autant de personnes nouvelles à nourrir. Comment y faire face ?
La première question à se poser est de savoir si l’Inde a les moyens agricoles pour faire face à cette explosion démographique. Rappelons que le problème n’est pas nouveau : la population indienne a doublé depuis l’indépendance. Le pays s’est trouvé confronté à une première crise dans les années 60 et a dü mettre en place une nouvelle politique agricole - la révolution verte qui fera l’objet d’un article à part- qui a correspondu à une rationalisation des terres, à l’utilisation d’outils agricoles modernes, d’engrais et pesticides. Cette révolution verte a abouti à un boom des rendements agricoles qui a permis au pays d’atteindre l’autosuffisance alimentaire. Le problème se pose de nouveau aujourd’hui mais l’Inde a, selon moi, les moyens d’affronter ce nouveau défi et ce, pour plusieurs raisons :
D’une part, le pays est extrêmement fertile. Les terres arables représentent 57% de la superficie du pays soit 1,8 millions de km2. Cela représente plus de 3 fois la France en terre exploitable en toute sorte de culture. A barouder dans la campagne, on observe que les terres cultivées ne représentent qu’une relativement faible part de la superficie disponible. Un moyen d’augmenter la production agricole sera donc d’étendre le domaine cultivé.
D’autre part, le niveau de rendement des champs est très bas. Dans le domaine du coton par exemple (qui comme chacun sait ne se mange pas), les rendements étaient 50% inférieurs à ceux réalisés aux USA. A noter que l’introduction d’OGMs a permis une croissance de 50% des rendements. Les mêmes résultats devraient pouvoir s’obtenir dans les semences alimentaires.
Enfin, rien qu’en limitant la perte de produits agricoles, on pourrait répondre dès aujourd’hui à ce problème démographique. En effet, une très faible part de la production est transformée -conserve, congélation, plat cuisiné- ; dans le cas des fruits et légumes, seul 2% de la production est transformée. Pour des questions de coûts et de ressources, les indiens ne consomment que du frais. Résultat, près de 40% de la production des fruits et légumes est perdue chaque année. C’est donc tout un système de transformation (de la chambre froide aux entrepôts dont les capacités actuelles ne peuvent prendre en charge que 10 de la production agricole nationale) à mettre en place. Le problème majeur en ce qui concerne cette transformation alimentaire est a) qu’elle est totalement inexistante donc que les coûts de création sont élevés, b) qu’elle concerne des petites unités dont les économies d’échelles sont rares et donc les coûts élevés*, c) qu’elle subit une réglementation très contraignante où interviennent un minimum de 9 ministères et plus encore de gouvernement locaux, d) qu’elle n’a pas de réseau de distribution allouée. Le gouvernement tente de résoudre le problème en favorisant l’investissement direct étranger (une prise de participation étrangère de 51% dans le cadre de joint-venture agroalimentaire est dorénavant possible) mais aujourd’hui les mesures d’incitation restent insuffisantes.
En somme, en cumulant restructuration agricole et amélioration des rendements, extension des terres cultivées et développement de l’industrie de transformation agroalimentaire, le pays a les capacités de faire face à une croissance de sa population de 600 millions d’individus d’ici 30 ans. Tout va se poser ensuite dans la mise en œuvre de cette nouvelle politique agricole.
Un autre problème pourrait se poser parallèlement à la croissance démographique. Avec l’enrichissement des individus, les besoins alimentaires vont croître. Aujourd’hui 30% des indiens souffrent de malnutrition. Pourquoi ? Du fait du coût alimentaire : les 80 millions d’indiens qui gagnent moins de 30 centimes d’euro par jour ont du mal à se nourrir avec une orange qui coûte déjà 7 centimes. Le développement de la transformation alimentaire doit s’accompagner d’économies d’échelles qui permettent une baisse des prix et d’une hausse de la richesse par habitant.
Que retenir de tout cela ? Premièrement, l’Inde a les moyens de faire face à sa croissance démographique. Deuxièmement, elle devra avoir recours - et cela commence à être le cas à mesure que l’OMC oblige le pays à s’ouvrir- à des producteurs alimentaires étrangers pour investir dans une industrie de la transformation qui n’existe pas aujourd’hui.
* Pour donner un ordre d’idée, le coût d’emballage -industrie très peu développée en Inde- peut représenter 67% du coût de production d’un produit alimentaire transformé. Par exemple, cela reviendrait à multiplier par 3 le prix à la vente d’une conserve de maïs, ce que très peu d’indiens ne peuvent se permettre surtout quand il suffit de descendre dans sa rue pour acheter des produits frais.
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