NB : Avant d’aborder le secteur, il est intéressant de noter qu’il est stratégique à notre égard pour nous européens. Le nombre d’avions en Inde pourrait doubler sur les 4 prochaines années ; près de 240 appareils pour une valeur de 20MM$ ont été commandés dans le pays, le plus souvent par des compagnies sans historiques qui profitent de facilités de financement (US Exim Bank, Crédit à l’export européen). Les deux principaux constructeurs, Boeing et Airbus, profitent de ce dynamisme qui pose, comme nous le verront, plusieurs risques.
En introduction, remarquons que la croissance du trafic aérien sur les 35 dernières années-6,6%/an- a ete relativement faible quand on sait que le trafic aérien a tendance à croître 50% plus vite que la richesse nationale (le PIB). Les raisons qui expliquent ce faible niveau de croissance sont d’une part une faible croissance de la richesse nationale et d’autre part un manque d’attractivité du secteur : les prix ont longtemps été élevés, la compétition faible et les coûts surenchéris par des contraintes réglementaires nombreuses. Comme le signalait le directeur financier de Jet Airways que j’ai rencontré, l’Inde- à la différence de la Chine- est une économie de la demande et non de l’offre. Le gouvernement ne met pas rien en place pour créer la croissance et c’est plutôt quand la croissance arrive qu’il commence à réagir. C’est ainsi que le secteur aérien a pati d’un retard important par rapport à d’autres pays asiatiques.
Reste que depuis 3 ans, les choses bougent : avec la libéralisation du secteur, le trafic aérien a cru de 13%/an entre 2002 et 2005. Ce rebond s’explique par le rattrapage effectué suite aux évènements du 11 septembre et à la crise du SRAS mais des raisons structurelles plus profondes expliquent aussi le regain de forme que connaît l’aérien en Inde aujourd’hui.
Un peu d’histoire….
Deux compagnies nationales avaient le monopole sur le secteur jusqu’au tout début des années 90. D’une part Air India qui gérait les dessertes internationales et d’autre part Indian Airlines dominant le marché domestique. Naturellement, des compagnies publiques sur des monopoles deviennent rarement des modèles d’efficacité.
A partir de 1990, le gouvernement commence à déréglementer le secteur. De nouvelles compagnies émergent dont 3 survivront à cette première ouverture :Jet Airways, Air Deccan, Sahara air. Le marché est certes en voie de libéralisation mais les contraintes réglementaires subsistent. Rapidement une entreprise prend le pas sur les autres : Jet Airways, dont les prix sont supérieurs à son concurrent public mais le service incomparable. En 1997, Indian airlines avait 71% de parts de marché et Jet 37%. En 2005, Jet airways prenait 43% des parts de marché et Indian Airlines en conservait seulement 37% ! Globalement, la croissance de Jet Airways s’est faite plus en prenant des parts de marché à son concurrent public qu’en bénéficiant d’un secteur en forte expansion. En effet, la croissance du marché aérien restait entravé par des coûts de production trop élevé (notamment la surtaxe sur le kérosène qui oblige les compagnies aériennes à acheter du fioul 10-15% plus cher qu’elles ne pourraient le faire à l’étranger) et un manque d’infrastructure aéroportuaire.
Une nouvelle vague de libéralisation est en train de se mettre en place depuis 2 ans. Une partie des lignes internationales ont été ouvertes aux compagnies justifiant plus de 5 ans d’existence et un minimum de 20 avions. Cette ouverture date de l’arrivée du nouveau gouvernement et s’est concrétisée cette année par la création de 10 nouvelles compagnies aériennes, cependant principalement focalisées sur le marché intérieur. D’une part, nombre de contraintes réglementaires pourraient prochainement sauter et d’autre part la plus grande concurrence devrait tirer les prix vers le bas et attirer une nouvelle clientèle. Ces nouvelles compagnies –dénommée Kingfisher (l’empereur de la bière en Inde), Spice jet ou Go Airways- ont développé un business modèle copié sur les compagnies à bas coût que nous connaissons en Europe. Reste que la situation indienne n’a rien à voir avec ce que nous connaissons en Europe. Il n’y a pas d’aéroports secondaires en Inde où les taxes sont inférieures et les embarquements plus rapides. De plus, les aéroports déjà existants ont peu de capacité disponible. La seule façon pour ces nouvelles entreprises de baisser leur coût est d’accroître le nombre de siège par appareil, de baisser leur frais de maintenance en homogénéisant leur flotte et d’enlever les repas en vol. Cela ne représente pas d’économies de coûts assez substantielles pour développer un business model qui permette en proposant des prix cassés de se créer une nouvelle clientèle.
Résultat, une guerre des prix est à prévoir ces prochaines années : les capacités (avions disponibles) vont croître de l’ordre de 25%/an alors que l’on prévoit un trafic en forte hausse, mais d’environ 20%/an ! Pour donner un autre ordre d’idée, il existe environ 200 appareils en Inde. Sur les 5 prochaines années, 250 nouveaux pourraient être mis en service ! Même Indian Airlines qui n’avait pas acheté un seul avion en 8 ans, passe commande pour 43 Boeing en une seule fois !
La grande problématique du transport aérien en Inde est de savoir si la croissance de l’offre va être absorbée par la demande. Je ne le crois pas. Notons que le trafic aérien est concentré sur 4 grands aéroports : Bombay, New Delhi, Madras et Calcutta qui représente 70% du trafic aérien en Inde. Un dégoulotage de plusieurs de ces rapports pourraient accroître leur capacité de 15%, mais cela ne règlera pas le problème à long terme alors que le nombre d’avion croit de 25%/an ! Un chiffre illustre ce propos : en 4 ans, il pourrait y avoir 8 fois plus d’avions qui vont se rajouter sur le marché que de place de parking disponibles dans les aéroports. De plus, les projets d’extension sont peu nombreux car l’argent manque. Les pistes sont souvent déjà saturées ; celle de Bombay fonctionne déjà à 25 décollages par heure. Dès lors les nouveaux avions devront aller sur des vols secondaires. Reste qu’il est plus difficile de remplir un Boeing 737 sur Aurangabad-Mysore que sur Bombay-Delhi. En somme, ces nouvelles compagnies aériennes tentent d’abord de se développer sur les lignes au plus grand flux mais doivent pratiquer des baisses de prix de 30% (ce que l’on observe depuis quelques mois) pour remplir un minimum leur avion. Elles captent une ancienne clientèle plutôt qu’elle ne développent une nouvelle. Attendez vous donc à ce que pendant 3-4 ans, une guerre des prix ait lieu avant une phase nécessaire de consolidation.
Jet airways :
Préambule :
J’ai rencontré le directeur financier de Jet Airways qui m’a tout autant impressionné par son professionnalisme que par son manque d’humilité : tout de go, il m’avoue que dans une dizaine d’année, Jet airways fera partie des 5 premières compagnies mondiales ! Il semble que cela soit bien une tendance du secteur (à l’instar du PDG de Ryanair) de faire preuve de peu de modestie. Reste que jet airways est une belle affaire.
L’histoire de l’entreprise remonte comme on l’a vu au début des années 90 quand un voyagiste décide de réunir une équipe multinationale de qualité pour casser le monopole d’Indian Airlines. Le groupe ne propose pas des prix inférieurs-bien au contraire ceux ci sont quelquefois 30% supérieur- mais se focalise sur le service et attire une clientèle d’affaire (80% aujourd’hui de la clientèle du groupe). Un choix judicieux de créneaux horaires sur les grands aéroports qui permettent des aller-retours dans la journée, un service de qualité (repas correct, e-ticketing, enregistrement online…) permet au groupe de se doter d’une bonne image de marque et de gagner rapidement en parts de marché. Ainsi le trafic passager a cru de 8%/an depuis 5 ans dans le pays alors que le trafic de Jet Airways a cru de 10,8%. De plus, le groupe a su rapidement devenir plus efficient que son concurrent public : son taux de remplissage l’année dernière était de 71% contre 65% pour Indian Airlines. Sa main d’œuvre est faiblement syndiquée (10% seulement ont adhéré à un syndicat), ce qui permet plus de flexibilité. Sa flotte est jeune (4,6 ans d’âge moyen quand IA n’a pas racheté d’avions depuis 8 ans) ce qui permet des économies de kérosène. Plus généralement, le management est de meilleur qualité et cela tient en un chiffre : les avions sont utilisés 10,2h par jour pour une moyenne nationale de 8h !
Le groupe a profité du boom récent du secteur aérien (+13%/an sur les trois dernières années) et mis en place un nouveau système de prix discount (yield management) qui devrait lui permettre de gagner plus de clients touristes. Reste qu’aujourd’hui le contexte concurrentiel est différent. Pour faire face à une concurrence domestique plus vivace, le groupe tente un développement à l’international, depuis peu permis par le gouvernement : Jet airways a été autorisé à ouvrir des lignes sur Londres, New York et l’Asie du Sud, qui sont des régions prometteuses car nombre d’indiens expatriés y vivent et les vols directs restent rares : sur les vols Grande-Bretagne/Inde, 50% en effet transitent par un aéroport du golfe. Ce développement à l’international n’en est qu’à ses préludes et l’opinion sur sa réussite est mitigée : certes le groupe a réussi à atteindre des taux de remplissage de 70% sur Londres-Bombay mais au détriment d’une baisse de prix de 30% face à des concurrents bien plus redoutables qu’Indian Airlines (comme par exemple British Airways). Aussi l’internationalisation du groupe sera accompagnée d’une baisse de marge qui inquiète.
Plus généralement, disons que Jet airways était jusqu’à présent un compagnie traditionnelle avec une croissance de compagnie à bas prix. Son taux de croissance reste important, profitant d’un marché en plein boom, mais au détriment de sa rentabilité, soit de sa croissance future. Pour faire face à ce redéploiement, le groupe a un plan d’acquisition d’appareils ambitieux : il compte passer en 3 ans de 42 appareils (très majoritairement des B737) à 75 (allant de l’A340 au B777), pour près de 2,4MM$.
Quelques chiffres sur l’entreprise :
Gardons en tête qu’un Euro représente environ 50 roupies.
L’entreprise a dégagé un chiffre d’affaires sur son dernier exercice fiscale de 43,4 milliards de Rs. Sa marge d’exploitation a été de près de 8,3MM pour un bénéfice net de 3,9MM. Ce sont des chiffres impressionnants, plus proche d’une compagnie à bas coût que d’un transporteur traditionnel. Mais rappelons que l’entreprise est certainement en haut de cycle et que ses marges ont plus de chances de chuter que de s’apprécier.
Le groupe est dans une phase d’expansion de sa flotte. 85% de ses investissements seront financés par emprunts et 15% par augmentation de capital. Après augmentation de capital, ses fonds propres sont désormais de 20MM, pour une dette nette qui n’est que de 17MM. Le groupe a dégagé 7MMRs de free cash flows sur le dernier exercice, ce qui lui donne une bonne capacité d’endettement.
En terme de perspectives, les analystes indiens anticipent une croissance de 13% par an de son trafic domestique (par rapport à un marché qui croitrait de 20%), soit une nette érosion de sa part de marché qui reviendrait à 37% d’ici 3 ans contre 43% au pic actuel. Parallèlement, la croissance à l’international du groupe pourrait être de 90% ces deux prochaines années. Au total, la croissance du chiffre d’affaires serait de 27%/an jusqu’à 2008. Sa rentabilité baisserait nettement (peut être 4% de marge opérationnelle en moins) du fait de frais de maintenance en hausse alors que sa structure se complexifie avec l’arrivée d’appareils différents ainsi que de frais salariaux en hausse suite à l’accord triannuel conclu (+15%/an) avec les pilotes.
Mais parallèlement, le groupe devrait profiter des taux d’intérêts bas pour refinancer sa dette et baisse le coût de l’emprunt. Un autre gain pourrait provenir de la renégociation de ses commissions aux agences de voyage (5% du prix du billet) ou à Jet Air (8% du prix), l’ancienne maison mère qui profite d’une situation historique acquise pour récupérer une commission trop élevée.
Mon avis sur le secteur et l’entreprise :
Un doublement du trafic indien en 3 ans me semble ambitieux. Dans des conditions normales, c’est un exercice difficile. Quand il manque les infrastructures pour le permettre, c’est un exercice dangereux. Les perspectives sur le trafic sont irréalistes : si la croissance se fait à une telle vitesse, ce sera au détriment des prix des billets et donc de la rentabilité du secteur. Même si le gouvernement retire un certain nombre de contraintes (surtaxes, interdiction de couverture des achats pétroliers..) qui pèsent sur les coûts des transporteurs aériens, rien n’empêchera une guerre des prix. Face à plusieurs années de transition et d’incertitude, et alors que le groupe a une valorisation élevée (une capitalisation de 2,4MM€), Jet airways apparaît surtout comme un belle vente à découvert.
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