Je profite de mon séjour à Calcutta, ville charmante mais d’où provient absolument aucune grande entreprise indienne pour éclairer mon lecteur assidu sur quelques particularités économiques indiennes.
Donc après le transport aérien, parlons des chemins de fer indiens. J’ai, en effet, eu le loisir de bénéficier du service public en la matière ; ce mode de transport est à la hauteur de sa réputation : peu cher, sale, bruyant et lent. Le prix est si bas qu’il est difficile cependant de se plaindre : un billet en deuxième classe s’achète environ 50 centimes d’euro pour 100 km contre peut être 10 à 20€ en France pour le même trajet.
Que mon grand-père soit rassuré, lui qui marmonne souvent sur le manque de productivité des fonctionnaires français, l’éducation nationale française n’est pas la deuxième plus grande entreprise du monde après l’armée chinoise. C’est l’Indian Railways qui compte un chiffre record de 1,6 millions d’employés. A compter un contrôleur dans chaque wagon, on comprend mieux pourquoi. Notre SNCF fait figure de bonnes élèves comparer à l’exemple même de l’inefficience économique que sont les chemins de fer indiens.
Le réseau :
L’Inde a l’un des plus vastes réseaux du monde (le troisième plus exactement après USA et Russie) : il comprend 63000 kilomètres de ligne et 6850 gares environ. Les chemins de fer transportent près de 14 millions de passagers par jour (5 milliards de passager par an) et 1,6 millions de tonnes de fret. Retenons que c’est avant tout un réseau de fret dont le transport représente les deux tiers des recettes de l’entreprise. Les chemins de fer représentent aussi la moitié du tonnage de marchandise transportés en Inde et près de 20% du trafic passager. Ces chiffres sont importants mais marquent un déclin continue depuis les années 50 au détriment de la route. En 1950, 90% des marchandises étaient transportés par voie ferroviaire. Cette perte de parts de marché s’explique par le développement plus concurrentiel de la route (et du transport routier point à point) mais aussi du fait de la transformation économique du pays. Le transport marchandise ferroviaire concerne en effet pour 50% le charbon et pour près du tiers les matières premières et transformés de la sidérurgie ou du bâtiment. Reste que l’Indian Railways a perdu aussi des parts de marché pour des raisons structurels : l’entreprise est un comble d’inefficience et de lenteur. Elle a sous-investi pendant des années.
Quelques chiffres pour témoigner de l’inefficience des chemins de fer indiens :
- Les accidents : encore 300 tués par an. Cela marque cependant un net fléchissement par rapport à il y a 5 ans (600/an) du fait de la volonté du gouvernement de ne plus concentrer ses nouveaux investissements sur la reconversion seule de lignes mais aussi sur les systèmes de sécurité.
- La lenteur du réseau : La vitesse sur les lignes principales est de l’ordre de 80kmh. C’est lent, surtout quand on est un utilisateur comme moi. La raison en est double : d’une part le matériel est très vieux et d’autre part même les trains express s’arrêtent dans les petites gares. A noter que 30% des locomotives sont électriques et 70% toujours diesel !
- La structure du groupe est inadéquate : c’est un ministère et à la fois une entreprise. Les entités régionales sont pléthore. Enfin tous les travaux sont réalisés en interne par une cascade d’entreprises liées. L’entreprise comprend 1,6 millions de personnel et a une très faible productivité. Petit exemple : il faut moins d’un employé par kilomètre de ligne aux USA contre 25 en Inde !!
- Le fonctionnement du réseau est abherrant : il y a 3 écartements de voies à la fois en Inde. C’est le seul pays au monde avec cette caractéristique. Résultat, il faut du matériel roulant différent et les ruptures de charge sont nombreuses. Cela ajoute au surcoût, à la lenteur et à un manque de producitivité généralisé. Cela explique aussi pourquoi le gouvernement a longtemps concentré ses investissements sur la reconversion de ligne. Enfin, le réseau est constitué de trois types d’entités : d’une part des lignes à haute densité qui relient les 4 grandes villes, qui fonctionnent relativement bien et seraient même en sous capacité. Ces lignes sont de plus en plus attaquées par le secteur aérien. Ensuite, des lignes d’interconnexions (le système ferroviaire fonctionne par hub) qui connaissent une croissance faible et sont sous utilisées. Enfin des lignes à faible densité, en très mauvais état, au coût important et où se concentrent la majorité des accidents.
L’Indian Railways est donc un comble d’inefficience. Mais on pourrait modérer ce jugement en s’accordant du fait que la décroissance relative du secteur face à la route rend la gouvernance de l’entreprise difficile. Aujourd’hui 35% du transport en Inde est réalisé par le ferroviaire contre 65% il y a vingt ans. L’entreprise dépend avant tout des subventions de l’Etat, mais semble être depuis peu reprise en main.
En quoi le système de transport nous intéresse, nous investisseurs ?
A noter premièrement qu’il est le système primaire de communication dans le pays. On ne voit pas les choses s’améliorer rapidement, donc les délais logistiques propres au pays continueront. Cela explique que l’économie se concentre avant tout sur les grands pôles urbains du pays. C’est une remarque importante car cela pourrait empêcher le pays de prendre en parts de marché aux chinois dans l’industrie.
En deuxième lieu, le gouvernement a pris conscience de la vétusté du secteur et du besoin de modernisation. Si auparavant, l’Indian Railways dépensaient la quasi totalité de ses besoins en achetant indien, cela commence à changer à mesure que les frais de douanes baissent et le groupe commence à s’approvisionner en technologie étrangère. On ne voit pas l’entreprise acheter des wagons en Europe, mais les commandes de locomotives Alstom ou GE se font plus importantes. Un marché important est celui de la signalétique pour améliorer la sécurité, car les indiens ont choisi le système européen GSM Rail auprès de Siemens. Au total, le budget de l’IR voué aux investissements est de l’ordre de 1,8MM€/an dont une part de plus en plus élevée est importée.
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