Cet article fait suite à la visite de Sun Pharmaceuticals à Bombay et Ranbaxy à Delhi.
Les entreprises pharmaceutiques en Inde ont connu un grand succès à l’exportation. La raison principale provient d’un marché local hyper-concurrentiel qui a poussé les grands groupes pharmaceutiques indiens à chercher des débouchés ailleurs. Dans un premier temps – et c’est un peu le paradoxe des politiques gouvernementales- l’Inde a voulu tout produire elle-même, refusant parallèlement de reconnaître les brevets internationaux dans ce domaine clé. En accordant facilement les licences de production à un très grand nombre d’acteurs (près de 20 000), le gouvernement a créé un environnement hyperconcurrentiel qui a permis l’émergence de champions nationaux, qui maintenant concurrencent les grandes pharmaceutiques occidentales sur leurs marchés propres. Naturellement leur domaine de prédilection s’est porté sur la production de médicaments génériques, au ticket d’entrée inférieur aux nouveaux médicaments (moindre recherche) et où le faible coût de production de l’Inde est un réel avantage.
Le succès des groupes indiens dans le domaine des génériques est du à leur statut de premier entrant sur le marché américain (le plus juteux), à leur connaissance de l’anglais et des pratiques légales. Après avoir connu des croissances spectaculaires ces dernières années –marquée aussi par l’intégration de l’Inde dans l’OMC-, ces groupes pourraient faire face à de plus grandes difficultés ces prochaines années : d’une part, les pharmaceutiques occidentales réagissent, d’autre part le succès appellant le succès, de nouveaux entrants pénètrent ces marchés accentuant la pression sur les prix, enfin une concurrence chinoise est probable à horizon 3-4 ans. Ainsi nombreux sont ceux qui pensent que l’industrie a connu ses meilleures années et que les prochaines s’annoncent nettement moins glorieuses.
Reste que chaque entreprise pharmaceutiques indiennes a développé une stratégie propre pour faire face à ces évolutions de marchés anticipables. Certaines se focalisent dorénavant sur la recherche, accentuant leur coûts légaux et engagent des projets à la gestation plus longue mais au reward plus important- L’exemple même : Ranbaxy-. D’autres tentent plutôt d’accélérer leur expansion géographique et leur développement sur des marchés plus réglementés et réaliser ainsi des économies d’échelles à l’instar de Sun Pharmaceuticals. D’autres encore tentent de s’allier avec des compagnies génériques ou des chimistes pour leur allouer leur opération de fabrication et se concentrer sur la part de leur métier à plus forte valeur ajoutée. C’est le cas de Cipla. Enfin, quelques unes se concentrent avant tout sur le marché indien qui reconnaît depuis 2005 la plupart des brevets et connaît une croissance élevée. Les stratégies sont multiples –quelquefois même les groupes développent plusieurs stratégies à la fois- et leur succès plus ou moins mitigé. C’est ce qui explique les valorisations très différentes des entreprises entre elles : certaine valent 22 fois leurs bénéfices publiées quand d’autres 50 fois. Reste que généralement, ces entreprises valent cher pour des profils qui se rapprocheront de plus en plus de ceux des nos grands groupes pharmaceutiques occidentaux (Aventis, Pfizer…) dont la valorisation est faible.
Un marché nord américain au plus haut :
En Inde, tout le monde fait des génériques : c’est l’investissement à la mode. Les barrières à l’entrée sont faibles, le coût de financement n’a jamais été aussi bas et les nouveaux entrants sont pléthore. Pour vous donner une idée, les investissements des 15 premières entreprises indiennes du secteur étaient d’environ 400 millions de dollar en 1996 pour atteindre 1,1 milliard en 2004 !
Et c’est vrai que le marché connaît une forte croissance. Prenons l’exemple des Etats unis qui représente le marché de très loins le plus important : les nombres de procédures de remise en cause de brevet (ANDA) n’ont jamais été aussi élevée : 635 nouvelles ont été déposées en 2004 contre 320 3 ans plus tôt- l’Inde a 33% des nouveaux dossiers déposés-. Le nombre d’approbation aussi : 475 en 2004 contre 307 en 2001.
En plus, alors que ce marché étaient réservés à quelques acteurs primoarrivants, on voit de nombreuses petites entreprises indiennes s’y engouffrer. La grande évolution : ces nouveaux arrivants ne ciblent plus seulement les médicaments toujours sous protection de brevets mais aussi les anciens médicaments. Cela leur permet de croître plus vite et de réduire le risque d’une défaite judiciaire.
Un grand nombre de brevet arrivent à expiration en 2006. Les pharmaceutiques traditionnelles ont tendance à rajouter des brevets sur leur produits. Hors ces rajouts, disons qu’environ 14700 brevets devraient tomber cette année, ce qui ferait un marché potentiel de tout de même 18MM$. Reste que 5 médicaments représentent la majeur partie de ce marché. On notera notamment le générique du Zocor (marché de 4,6MM$) ou plus d’une dizaine de génériqueurs vont se bagarrer !
La réaction des compagnies pharmaceutiques occidentales face à la menace des génériqueurs :
Face à ces nouveaux arrivants les compagnies pharmaceutiques traditionnelles ont mis en place une stratégie de défense coûteuse : les génériqueurs autorisés. Auparavant, la première entreprise de générique qui avait déposé un dossier de fin de brevet bénéficiait de 180 jours d’exclusivité pour lancer son produit générique et se constituer une belle part de marché. Dorénavant, les pharmaceutiques autorisent des génériques ou le développent en interne quelques jours avant l’échéance du brevet afin d’accroître la pression sur les prix sur un potentiel nouvel arrivant et réduire les occasions de profit.
Auparavant, un génériqueur sans conccurence d’un génériqueur autorisé proposait un générique d’un médicament ciblé à un prix inférieur de 20 à 30% pour récolter une grosse part du gâteau. Dorénavant, face aux génériqueurs autorisés qui ont déjà construit leurs parts de marché, les génériqueurs étrangers doivent réduire leur prix de 50 à 60% pour escompter une part de marché significative. Le marché des génériques devient alors beaucoup moins lucratif. Enfin, si certains pensaient faire interdire ces génériqueurs autorisés –pour cause de déformation de la concurrence-, ils ont à l’instar de Ranbaxy, abandonné l’idée. La présence des génériqueurs autorisés est une donnée pérenne.
Exemple pratique :
Avant, un génériqueur (disons Ranbaxy) prenait un tiers du marché d’une pathologie en gagnant 50% des volumes avec une réduction du prix du médicament de 30%. Avec un génériqueur autorisé, notre génériqueur ne prendra plus que 12% de parts de marché avec 30% des volumes malgré une baisse de 60% du prix !
Quelles réponses de la part des génériqueurs à un marché plus concurrentiel?
Sans trop rentrer dans le détail, les grands groupes génériqueurs indiens s’intéressent à des marchés aux barrières à l’entrée plus importantes, et ce dans trois domaines différents :
D’une part, les céphaslosphorines, un marché de 10MM$ avec une croissance annuelle de plus de 4% malgré la baisse des prix continue. L’intérêt de ce domaine est que dans le processus de fabrication, le risque de contamination est élevé et donc qu’il faut dédier des unités spéciales à la fabrication de ces molécules. D’où des investissements élevés que seuls quelques groupes de taille suffisante peuvent se permettre. Les acteurs sont moins nombreux, la concurrence moins forte et les baisses de prix moins fortes : dans le cas de la Cefliaxone dont le brevet est tombé à mi 05, la baisse des prix des 3 génériques proposés n’a été que de 60% contre 90% dans des exemples de médicaments différents.
D’autre part, les génériqueurs s’intéressent de plus en plus aux formules injectables (un marché d’environ 4MM$). Là encore, il faut dédier des unités de production spéciales. L’intérêt spécifique de ce secteur est que les ventes se font auprès d’institutionnels et non du grand public. Les nouveaux entrants sont moins nombreux et le marché semble plus lucratif. Dans les génériqueurs indiens, nous retiendrons les noms suivants : Wockhardt, Dadur, Orchidus.
Enfin, les biogénériques. C’est un marché de 60MM$. Le marché cible des génériqueurs est attractif : pour près de 10MM$ de médicaments vont perdre leur brevet d’ici 2 ans ! Reste que c’est un marché difficile ; la production de protéine est une équation chimique complexe (équivalent à des tests cliniques en phase III). Le second problème vient du fait que les Etats n’ont pas définitivement statué sur la procédure légale à mettre en place pour reconnaître la bioéquivalence d’un générique. En somme, les investissements dans le secteur sont élevés et longs mais le reward est encore très incertain. On notera dans ce domaine la présence de Wockhardt et Biocon.
L’externalisation de la production de médicaments :
C’est un marché déjà important puisque l’on considère que 30% de la production des médicaments dans les pays développés est externalisée. Mais cette externalisation s’est faite auprès de chimistes tels que Degussa ou DSM en Europe. Ce phénomène d’externalisation prend cependant de plus en plus d’ampleur du fait de la compétition des génériques, d’un pipeline en nouveaux produits qui s’annonce limité ces prochaines années et de la volonté des pharmaceutiques de se concentrer sur les métiers à la plus forte valeur ajoutée- c’est à dire la recherche-que sur la fabrication de médicaments –qui ne représente que 10 à 15% du coût total. Enfin notons que même les vieux médicaments subissent dorénavant la concurrence de génériques, ce qui oblige les grands groupes pharmaceutiques occidentaux à se concentrer sur la baisse de leur coût et leurs priorités stratégiques. Certain groupe ont déjà commencé la délocalisation de leur production vers des groupes tiers implantés en Inde ; c’est le cas de Novartis avec Jubilant.
Globalement il faut s’attendre à une nouvelle vague d’externalisation de la production de médicaments. L’Inde apparaît comme le pays à privilégier. Le succès des médicaments génériques a démontré la compétences des groupes locaux. La chimie indienne est reconnue (plus appréciée que la chimie chinoise), la connaissance des réglementations et la pratique de l’anglais font des groupes indiens des partenaires tout trouvés. L’élément prix est fondamental : les coûts de fabrication de médicament en Inde sont d’environ 30% inférieur du fait d’une main d’œuvre moins cher (1/7 de leurs homologues européens) et d’équipements de production achetés sur place. L’intérêt du marché de l’externalisation est de garantir à l’entreprise partenaire un flux régulier d’activité, malgré un profit moindre. Quelques grands groupes se démarquent en Inde. Ce sont souvent des chimistes tels que Nicholas Piramal (travaillant avec Allergan), Dishman Pharma (Astra, Merck) ou Shasun chemicals (Glaxo, Lilly).
Le développement hors des Etats unis :
Le marché des génériques est resté pendant longtemps un marché avant tout nord-américain. Les marges étant plus élevés de l’autre côté de l’atlantique, le marché moins parsemé en plus petits états à la réglementation différente, les entreprises de génériques se sont en premier lieu intéressées aux USA. Dorénavant, elles ciblent aussi l’Europe. Mais l’Europe est un marché plus difficile où les prix des médicaments sont réglementés et inférieurs. Les groupes indiens s’y développent avant tout par acquisition à l’instar de Ranbaxy qui a racheté la branche générique d’Aventis.
Etonnament, les indiens ciblent deux marchés en préférence : le marché belge et français. Ils font un raisonnement un peu simpliste qui est de considérer la faible présence comparée des génériques dans ces deux pays pour déduire que la part va naturellement converger vers ce qu’elle est outre-rhin ou outre-manche.
Ces groupes indiens se développent surtout par croissance externe. Cela leur permet d’acquérir rapidement une connaissance du pays mais aussi d’acquérir un portefeuille de produits dont la délocalisation de l’outil de production en Inde permettra de rapidement accroître leur marge. C’est le cas de Ranbaxy qui estime qu’en fermant ses usines européennes pour en ouvrir en Inde, elle réduit le coût de production d’environ 20% (en incluant le coût de transport vers l’Europe).
Reste que le développement vers l’Europe est plus aventureux ; les marchés sont moins lucratifs, de plus petites tailles et fortement encadrés par l’Etat.
Le marché de la santé en Inde :
Malgré un très grand nombre d’acteurs, il est encore faible aujourd’hui à 20MM€. Les produits pharmaceutiques représentent environ ¼ de cemarché. Malgré des croissances de l’ordre de plus de 20%/an depuis 15 ans, le marché des produits pharmaceutiques ne représente toujours aujourd’hui que 1% du marché mondiale (mais 8% en volume). Une des raisons principales est la très forte compétition du marché qui aboutit à un prix extrêmement bas des médicaments. Nombre de médicaments valent par exemple 7 fois moins cher que leurs équivalents occidentaux. Mais on attend ces prochaines années une forte croissance. D’ici 2008, il pourrait croître de 40%. Deux raisons prédominent : la croissance démographique –parallèlement à l’enrichissement des habitants- et le changement de pathologie lié à cet enrichissement.
Aujourd’hui, les dépenses de santé sont encore très faibles dans le pays : à parité de pouvoir d’achat, chaque indien dépense moins de 100$/an contre près de 3 fois plus pour un chinois ou 6 fois plus pour un brésilien. C’est un marché concentré sur la population la plus riche : on estime que le tiers de la population indienne la plus aisée représenterait les ¾ des dépenses. C’est un point notable, car si la croissance démographique est de plus de 2%/an, la croissance de la population la plus aisée est facilement 3 fois supérieure !
Le deuxième point à noter est le développement de nouvelles pathologies : les infections sont un problème de pauvre alors que les problèmes cardiaques sont un problème de riche. Les traitements se porteront de plus en plus vers les maladies liées au mode de vie des indiens et cela expliquera une grande partie de la hausse des dépenses de santé. Gardons à l’esprit que le traitement d’un problème cardiaque est de 29000Rs en moyenne contre 4100 pour une infection.
Conclusion :
En somme, les entreprises génériques les plus connues ont vécu leur plus belles années : le développement hors des Etats-Unis est plus difficile et la pression sur les prix se fait plus forte aux USA du fait d’une concurrence plus nombreuse soit de la part de petits acteurs étrangers soit de la part de génériqueurs autorisés. Les dépôts de remise en cause de brevets n’ont jamais été aussi nombreuse mais la baisse des prix sur les produits en sortie de brevet n’a jamais été aussi rapide. Exemple significatif : toujours Ranbaxy. La marge brute d’exploitation (notre chère EBITDA) est passée de 23% au troisième trimestre 2004 à moins de 13% un an après. Tout le monde se cherche une porte de sortie : certains tentent un développement international accéléré pour gagner en économie d’échelles, d’autres se mettent à la recherche, d’autre enfin de passer des partenariats d’externalisation de production avec les entreprises occidentales. Mais mis à part quelques domaines niches (biogénériques), les entreprises de génériques indiennes n’ont pas trouvé de solutions miracles. Peut être ne méritent elles pas leur valorisation élevée, alors que le marché tarde toujours à revenir sur les grands groupes pharmaceutiques à la valeur ajoutée supérieure.
NB : Le tourisme hospitalier en Inde.
Pour l’instant, ce marché est négligeable. C’est un marché qui concerne avant tout les personnes non assurés des pays riches ainsi que les ressortissants des pays émergents asiatiques. Mais il pourrait être appeler à croître ces prochaines années et l’Inde pourrait devenir une nouvelle Thailande (un pays où le tourisme médical est très important).
Pour prendre d’ailleurs ce dernier pays en exemple, nous noterons que les coûts hospitaliers avantagent fortement l’Inde : une opération cardiaque coûte 14200$ en Thailande. Une transplantation du foie coûte 75000$ en Thailande contre 45000$ en Inde !
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