lkeseDes ambitions mais un financement
difficile :
Parlons donc aujourd’hui du marché des infrastructures et de la construction en Inde. On anticipe une croissance sur les prochaines années de l’ordre de 6-8% par an. Ayant eu l’exemple de la Chine qu’il ne veut pas reproduire, le gouvernement a mis en place un plan ambitieux de développement des infrastructures qui est censé lui permettre d’éviter au maximum les goulots d’étranglements inhérents à une économie qui croit très vite. Ne me demandez pas comment il compte le financer car je ne le sais pas : en effet le nouveau plan d’investissement entre 2003 et 2007 prévoit une hausse de 70% des investissements à plus de 130 milliards d’Euro. Cela représenterait quelque chose proche de 4% du PIB de l’Inde, ce qui dans l’Etat des finances publiques n’est pas gagné d’avance. Certes le gouvernement compte recourir de plus en plus au secteur privé et aux organismes internationaux, mais le challenge reste ambitieux. De surcroît les informations en la matière restent bien imprécises.
Les projets d’investissements
actuels :
Le dernier plan d’investissement quinquennal a eu lieu entre 1998 et 2002 et entraîné des investissements de 68 milliards d’Euro. Cette fois-ci l’Etat anticipe sur la période 2003-2007 des investissements pour plus de 130 milliards d’€ qui seront répartis de la manière suivante –noter bien les priorités du gouvernement !- :
- Environ 2 milliards dans les aéroports (ce qui fait une hausse tout de même de 60% des investissements).
- Un grand plan d’investissement dans les systèmes d’irrigation (pour plus de 28 milliards, soit un triplement relativement au dernier plan) car l’électorat reste avant tout rural et agricole.
- Des investissements portuaires de l’ordre de 2 milliards (un doublement).
- Des investissements dans la génération de puissance et l’électricité pour 28 milliards d’Euro (+70%) qui apparaissent plus que nécessaires.
- Plus de 11 milliards dans le ferroviaire (+30%-n’oublions pas l’importance du train en Inde !)
- Près de 17 milliards dans les travaux routiers (+60%) avec notamment un grand plan de développement autoroutier.
- Une somme équivalente dans les télécoms (mais où la part de la construction est très faible), soit une hausse de seulement 9%.
- Des investissements enfin dans le développement urbain pour plus de 26 milliards (+130%) pour désengorger les villes et faciliter l’accès à l’immobilier qui est un problème grave en Inde.
La question du financement sera fondamentale. Le pays pense pouvoir la régler en faisant un appel de plus en plus important aux acteurs privés et cela pourrait réussir. En effet, le secteur des infrastructures avait eu longtemps la défaveur du privé pour une raison simple : les intérêts au début des années 90 étaient de 16 à 18% soit plus élevés que le retour sur investissements (de 14 à 17%). Nul n’investissait donc dans ce secteur. Mais la forte chute des taux d’intérêts (nous sommes entre 6 à 7% aujourd’hui pour ce type de projet) permet de rendre ces projets viables. Au point que les banques se sont ruées sur nombre de projets d’infrastructures (principalement routières et portuaires) : les crédits en ce domaine ont par exemple cru de 40% entre 2003 et 2004. De plus, l’Etat a mis en place un système de garantie de prêt sur des contrats géants (jusqu’à 2 MM€) qui permet à des entreprises de moindre taille de participer à des appels d’offre sur des grosses infrastructures. Enfin l’Etat a fait passer toute une panoplie de nouvelles législations (partenariat public/privé, défiscalisation de la gestion d’infrastructure) et encourage de plus en plus le recours à des contrats de BOT (pour Build Operate and Transfer). Rappelons que ces contrats aboutissent à ce qu’une entreprise prenne à sa charge les frais de construction et exploite les infrastructures durant une période donnée avant de les rétrocéder à l’Etat. Cela aboutit à transférer la charge financière aux acteurs privés. La particularité de ce système est que l’entreprise privé obtient une annuité en échange de la gestion des infrastructures et ne récupère pas directement le péage de cette même infrastructure.
Le marché de la construction :
Sur ces investissements, une grosse partie reviendra aux entreprises de construction, qui nous intéressent plus particulèrement ici. Sur l’installation d’une nouvelle centrale, environ 50% du prix final correspond à des dépenses de construction. C’est aussi 40% du prix d’un aéroport mais la totalité des investissements routiers.
Le marché indien est constitué d’une vingtaine d’acteurs de grande taille présents sur l’ensemble de la péninsule et d’une pléthore de petites entreprises à la rentabilité beaucoup plus réduite et qui se concentre sur le marché immobilier local. Ainsi les grands acteurs, tels que Larsen&Toubro, ou encore Jaiprakash se concentrent avant tout sur les grands projets d’infrastructure à l’instar de nos Bouygues, Eiffage ou Vinci, au détriment d’un marché de l’immobilier résidentiel qui représente tout de même 25 milliards d’Euro mais à la rentabilité fragile.
Les grands acteurs bénéficient donc d’un marché en forte croissance et de carnets de commandes bien remplis. Reste que tout n’est pas rose. Il existe aussi des points noirs. Premièrement, les secteurs de la construction n’ont pas les même rentabilité : les secteurs traditionnels (routes-ports-irrigation) ont des marges opérationnelles variant entre 6 à 8% quand des secteurs niche ont des niveau de profitabilité élevé (plus de 20% dans l’hydro-électricité, près de 18% dans les industries de process, tout autant dans les pipelines). Deuxièmement, les coûts des entreprises pourraient être amenés à croître : trouver de la main d’œuvre n’est pas évident alors que les entreprises du moyen-orient et celles de l’IT débauchent les ingénieurs du secteur sous-payés, et les prix des matières premières (du ciment à l’acier) sont en nette croissance. Enfin, les groupes indiens observent un début de concurrence internationale et une plus grande concurrence domestique. Dernièrement, si les projets de développement sont nombreux, l’instabilité politique de l’Inde et l’approche de nouvelles élections ainsi que les difficultés budgétaires du gouvernement pourraient soit les décaler soit faire de l’Etat un mauvais payeur. Ce qui complique le travail de ces entreprises au besoin au fonds de roulement négatif.
Les projets d’infrastructure par
métier :
La génération d’électricité :
Pour vous donner un ordre d’idée, le pays dispose actuellement de 50% de capacité d’électricité en plus de la France pour une population 24 fois supérieure : c’est dire le manque de capacité actuelle. Le secteur a souffert d’un manque d’investissements passés qui s’explique par plusieurs raisons : 1) les régies publiques de distribution tardent à régler les producteurs privés (Reliance Energy, Tata Power..) ou publics d’électricité (environ ¼ de la production est privée), 2) les connexions illégales, le non-paiement des factures ou les arrangements avec le releveur de compteur aboutissent à un faible taux de paiement de l’électricité (environ 55% de l’électricité produite est réellement payée) qui alourdit les pertes des organismes publics.
Ces sous-investissements passés expliquent le manque de capacité aujourd’hui : le coussin de production (la différence entre les capacités et la production réelle) est inexistant et les centrales thermiques utilisées normalement uniquement pour la production d’heures de base tournent plus encore lors des pics de demande. Le système est sous-capacitaire d’environ 15% dès à présent et totalement déséquilibré.
Aussi l’Etat prévoit un doublement de ses capacités de production d’électricité à 212 GW d’ici 2012. Cette hausse des capacités devrait se faire au profit des acteurs privés (à travers des contrats de BOT) et de l’énergie hydro-électrique qui présente un potentiel de développement élevé (nombreuses rivières en Himalaya Pradesh). L’hydro-électricité représente en effet aujourd’hui 25% de l’électricité produite contre 70% pour le thermique (les centrales charbons) et une part marginale pour le nucléaire et l’éolien.
Globalement les dépenses d’investissements dans le domaine devraient être en 5 ans de 28 milliards. Elles favoriseront majoritairement les acteurs indiens de la construction et des biens d’équipements (BHEL) même si Alstom profite d’une base installée importante (40% du parc thermique).
La T&D en Inde :
Le transporteur d’électricité est public et fortement déficitaire. Il doit faire face à des producteurs dont les prix sont en hausse et des distributeurs mauvais payeurs. De plus si la production se trouve dans l’Est du pays (où se situe les trois quarts des réserves de charbon), la consommation est à l’opposé. Résultat : le groupe est inefficient, a des chutes de tensions régulières (aggravées par le pillage d’électricité) et des coûts élevés. Mais face à cela, l’Etat lui impose un plan d’électrification rapide des villages et le triplement d’ici 2012 de son réseau. Autant dire que rien n’est fait. Reste que tout est question de subvention donc tout dépendra de la volonté réelle de l’Etat de s’en tenir à son plan de développement. Dans la phase actuelle, l’Utilitie publique anticipe un triplement de ses investissements d’ici 2007 à près de 4 milliards d’Euro. Cela restera quoiqu’il en soit totalement insuffisant. Si la plupart de ces investissements seront dépensés auprès d’acteurs indiens, les grandes entreprises internationales du secteur (Areva, ABB, Siemens et Nexans) pourraient prendre une petite part du gâteau.
Les travaux routiers :
C’est la grande priorité du moment de l’Etat. Comme nous l’avons déjà vu, l’Etat a un plan très rationnel de développement d’un réseau autoroutier qui commencera par connecter les grands centres économiques pour ensuite connecter les grandes villes régionales entre elles. La phase I et II sont en cours : elles correspondent à l’interconnexion entre les 4 grandes villes du pays d’une part et d’autre part entre les 10 grands ports du pays. Les dépenses envisagées sont de 10 milliards d’Euro. La phase I qui devait être finie pour décembre 2005 n’est achevée qu’à 88%. La phase II prévue clore à la fin 2007 n’en est qu’à 30%. Tous les contrats ont déjà été passés.
Ces deux premières phases ont été financées majoritairement par une hausse de l’impôt sur le pétrole, le recours à l’assistances internationale (banque asiatique du développement…) et par un faible recours aux acteurs privés (25% seulement).
La phase III n’est commencé qu’à hauteur de 11%. Le problème de cette phase -dont le coût est aussi estimée à 10 milliards d’Euro -est qu’elle n’a recours qu’à des acteurs privés à travers des contrats BOT dont la rentabilité n’est pas claire. Reste que l’Etat se veut très confiant et anticipe de nombreuses autres phases ultérieures.
Globalement, les investissements dans ce secteur profiteront uniquement aux acteurs indiens du BTP et du ciment.
Les infrastructures aéroportuaires :
95% des volumes d’export passent par le trafic maritime. Dès lors, le gouvernement indien qui veut doubler la part des exportations indiennes dans le commerce mondial désire multiplier les capacités portuaires par plus de 2 d’ici 2014. En effet avec un trafic en hausse de 10 à 11% ces dernières années et concentré sur les 12 premiers ports du pays déjà engorgés, le besoin est bien réel. Les banques et les investisseurs prévus sont très intéressés par ces projets et le financement devrait se faire assez facilement. L’enveloppe réservée pour ces projets d’ici 2007 est encore faible (2 milliards d’Euro) mais est appellée ensuite à progresser.
Les infrastructures aéroportuaires :
Comme précédemment mentionné (cf article sur Jet airways), les aéroports indiens sont engorgés : délais et coûts s’en font ressentir. Certes l’Inde n’exploite qu’un septième de ses aéroports mais les aéroports utilisées sont ceux présents dans les grandes villes et où se concentrent tout le trafic. Avec des nouvelles compagnies aériennes qui désirent tripler la flotte indienne d’avion d’ici 10 ans, les investissements dans ce domaine deviennent urgents. 3 milliards d’Euro devraient être investi dans les deux plus grands aéroports du pays (Delhi et Bombay concentrent 40% du trafic national) et 7MM dans l’ensemble du secteur. C’est beaucoup comparé aux investissements sur les 6 dernières années (seulement 700 millions). Reste que ceux ci prennent du retard et que la passation des contrats est particulièrement trouble. Des acteurs internationaux pourraient profiter des futures privatisations du secteur (ADP, BAA…) mais les politiques corrompus semblent toujours favoriser des prétendant nationaux. Au niveau de la construction, les principaux bénéficiaires seront les 4/5 très grandes entreprises de BTP du pays.
Les besoins en investissements dans
l’eau :
Dans le projet actuel, l’Etat anticipe des investissements de 10 milliards d’Euro dans l’eau potable et de près de 1 milliard dans le traitement des eaux sales (la pollution n’est pas la priorité du gouvernement). C’est l’enveloppe que s’est donné l’Etat pour arriver aux objectifs définis il y a déjà plus de dix ans : l’accès de 75% de la population urbaine à l’eau courante.
L’eau est en effet un autre problème majeur dans le pays : aucune ville n’a de l’eau 24 heures dans la journée et bien souvent les robinets ne coulent que 4 à 5 heures par jour obligeant tout les indiens à s’équiper en réservoirs. Reste que sur cette enveloppe, près de 85% des dépenses iront non pas vers la modernisation du réseau mais vers l’irrigation. Là encore c’est une question électorale. Le gouvernement ne manque pas de nouvelle idée (usines de désalinisation, grands canaux…) mais ne résoud en rien les difficultés du secteur : l’eau est vu comme une denrée gratuite ou au prix dérisoire qui ne permet pas aux entreprises publiques de couvrir leurs dépenses et ont cessé depuis longtemps d’investir malgré le besoin.
Les investissements dans l’eau sont insuffisants. Ils profiteront à des grands projets d’irrigation contractés encore auprès des quelques grandes entreprises de BTP du pays.
Les investissements dans les métaux et les
mines :
Les investissements des entreprises du secteur (Tisco, Hindalco) seront dans les 5 prochaines années 5 fois plus importants que ceux réalisées dans les 5 dernières. En effet, la baisse des taux d’intérêt, les bonnes perspectives et l’utilisation des capacités de production près de leur niveau maximum. Cela profitera pour une petite partie aux acteurs du BTP et pour une grande aux acteurs des biens d’équipement (de Caterpillar à Siemens)
Le secteur pétrolier et du gaz :
Les projets de nouvelles raffineries devraient entraîner des dépenses cumulées de 8 milliards. Sur l’ensemble du secteur, les principales entreprises indiennes ont l’ambition d’accroître leurs dépenses d’investissements de 25% sur les trois prochaines années. Au total, dans le secteur les investissements seront de près de 28MM. Les grands projets consistent en le doublement de la raffinerie de Reliance, en la construction de terminaux GNL et en la pose de Pipeline à travers l’Inde. Les bénéficiaires seront les entreprises d’ingénierie (telle que Technip et Bechtel) et de nouveau les acteurs locaux de BTP.
Conclusion
Globalement, les projets d’infrastructure du pays sont ambitieux et reposeront sur le recours de plus en plus fréquent au financement privé. Les choix du gouvernement favorise l’électrification du pays, de nouveaux grands projets d’irrigation mais le saut qualitatif est tel relativemement aux plans passés, que tous les secteurs profiteront d’une part du gâteau. Cette forte hausse des dépenses devrait profiter avant tout aux acteurs locaux du BTP.
A suivre : note sur Jayprakash
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