Tout le monde connaît le principe des castes : chaque individu en Inde doit remplir au mieux son Dharma (son devoir) dans les limites de ses possibilités pour pouvoir se réincarner la fois suivante à un niveau supérieur.
Personne ne connaît par contre l’origine exacte de ce système apparu suite à l’invasion de la péninsule indienne par les aryens. Les dernières études ont tendance à rapprocher ce système de ceux que nous avons connu durant la période médiévale : un système à trois classes sociales avec clergé, noblesse et tiers état- cette dernière classe laissant finalement émerger une bourgeoisie, qui à proprement parler est le tiers état de la ville.
Parallèlement, nos sociétés du moyens âges étaient toutes aussi closes : un grand nombre de corporations de métiers existaient avec leurs règles et où l’esprit de la communauté dominait. Maintenant la question est de savoir pourquoi ce système a perduré si longtemps et même après la révolution industrielle que l’Inde a connu.
Ce que nous appellons caste, s’appelle ici Varnas. Il y en a donc quatre : le « clergé », ou plutôt la caste en charge des rites religieux, ce sont les brahmins. De même origine, les guerriers ou Kshatriyas sont les descendants directs des tribus ayant, les dernières envahi, le pays. Viennent ensuite les marchands (vashyas ou bania) et correspondaient à la bourgeoisie urbaine. Reste la dernière caste, les sudras qui sont majoritairement les paysans. Ces castes sont le système d’interdépendance sur lequel c’est construit l’Inde, mais non le seul. Il y a aussi, ce qu’on appelle les sous-castes (jatis) dont le nombre (3000) et le poids dans la vie de tous les jours est tout aussi important : elles correspondent à nos anciennes corporations et traduisent souvent l’appartenance à un métier (charpentier, forgeron…). A cela s’ajoute la caste (qui n’en est pas proprement une) des intouchables selon le mot de Gandhi, ou plus connu en Inde sous le nom de Dalits.
Quelle population représentent-elles dans l’Inde moderne ? Aujourd’hui, la population indienne se divise de la manière suivante : les trois classes les plus élevées ne représentent ensemble que 15% de la population ; les paysans (Sudras) représentent 50% de la population ; les intouchables environ 20% (encore faudrait il croire aux statistiques qui dans ce domaine sont bien hasardeuses). Le reste de la population (15%) est constitué de musulmans (11%), de chrétiens, bouddhistes, sikhs, parsis ou tout autre minorité religieuse. Ne pas croire cependant que ne pas être hindou signifie pour autant ne pas participer à ce système. Souvent, les minorités religieuses continuent à être jaugées à l’aune des métiers qu’elles pratiquaient avant.
Qu’en est il des castes aujourd’hui ? L’idée est de savoir si cela empêche toute élevation sociale. Globalement on dira que non. Notons premièrement que l’individu ne pouvait sortir de sa caste. Mais la caste n’a pas par elle-même de réel rôle économique. Il ne pouvait non plus sortir de sa jati. Mais l’ensemble de la jati pouvait changer de métier ou s’enrichir et par là changer de condition sociale et de rapport avec les autres sous-castes.
Notons aussi que le phénomène de caste est un système qui tend à disparaître avec la concurrence des valeurs étrangères et de nouvelles formes de distinction sociale, telles que l’éducation et l’enrichissement. Les castes disparaissent pour être remplacées par des classes sociales. Etonnament, quand on regarde les positions sociales des individus en Inde (qui est PDG, middle manager…) on retrouve une superposition de castes. Les classes les plus élevées ont poussé leur enfants à faire des études et ces enfants se sont repositionnés au sommet de l’échelle sociale. Il y avait certes avant un rejet des relations commerciales par les classes les plus élevées. Aujourd’hui, l’esprit de la nouvelle génération -toute caste confondue- est à l’instar du mot de Guizot « enrichissez vous ! ».
Notons enfin que le système des castes survit difficilement à l’exode rurale. La société indienne reste encore majoritairement rurale (au ¾) et la tradition est plus forte à la campagne, mais en ville, la diversité des situations et l’évolution des compétences ne permettent pas aux citoyens de se retrouver dans le système de castes. La compétence est l’élément primordial : dans une entreprise moderne, la caste est peu importante. Mais le niveau d’étude, la fluidité de son anglais sont des éléments plus importants. Un indien se rapprochera d’un autre sur son lieu de bureau plutôt parce qu’il parle la même langue (hindi, tamul, bengali…) et qu’il est au même niveau hiérarchique que de par son origine castique. En parlant avec un ami de rencontre français, je lui demandais comment gérer des employés de castes différentes et si les hiérarchies ne se croisaient pas. Il m’expliquait que la caste n’est pas un problème ; un « marchand » peut être supérieur à un « Brahmin » et lui donner des ordres. Mais il faut absolument un brahmin dans l’usine pour être en charge des rites religieux même si sa position économique est très basse. Ce même brahmin pourra même nettoyer les toilettes (les carreaux…) mais ne touchera pas aux latrines (ce qui est déshonorant). Les situations restent donc complexes. Le système des castes peut apparaître comme un frein au développement de l’Inde. Si il y a peu d’exemple d’élévation sociale et de méritocratie, les jeunes indiens ne seront pas poussés à travailler ; c’est notre vision européenne. D’ici, ni les castes ni les jatis n’apparaissent comme des freins au développement du pays, qui reste avant tout tiré par l’Inde qui compte, c’est à dire l’Inde urbaine. N’oublions pas non plus que le Japon avait maintenu longtemps un système de castes et que cela ne l’a pas empêché de connaître un développement économique fulgurant.
Les castes sont –elles amener à disparaître ? C’est la grande question ! La culture traditionnelle périra-t’elle sous le joug du modernisme occidental ? Ou bien comme à travers les millénaires de l’histoire du pays, la culture occidentale sera adaptée aux couleurs locales ? Je pense que deux éléments joueront dans l’effacement du système de caste : la vitesse à laquelle se fera l’exode rural. Et la position des politiques. Rappelons qu’après l’abolition de l’intouchabilité (1950), les Dalits ont bénéficié du favoritisme du gouvernement. Une sorte d’affirmative action a été mis en place qui leur réservait 20% des places à l’université ou dans le secteur public. Des politiciens corrompus ont crié à l’injustice et promu l’idée que les 50% de sudras (paysans) étaient tout aussi délaissés et devaient se voir réservé 30% des places dans les mêmes postes etc…En somme les divisions continuent et restent latentes dans la campagne. Les politiciens profitent de telle ou telle jati clientèliste pour faire passer des mots d’ordre dans la communauté et se faire élire. En somme, beaucoup de monde a intérêt à conserver un tel système. Le risque c’est qu’en poussant au conflit, on ne justifie plus aucun lien d’interdépendance sur lequel le système de castes s’est construit. Dans une direction comme dans l’autre, le système de caste pourrait être amené à disparaître. Nul n’a finalement la moindre idée du temps que cela prendra.
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