Dans le BTP en Inde, il n’y a pas grand choix d’entreprises de taille et il reste encore beaucoup d’entreprises publiques ou de très petites sociétés privées. Pour profiter des opportunités de croissance dans le secteur des infrastructures, deux entreprises se démarquent : Larsen and Toubro qui est la plus grande société de BTP indienne mais qui reste avant tout un conglomérat malgré les restructurations récentes et Jaiprakash Associates. Cette dernière est de taille modeste (environ 500 millions € de chiffre d’affaires) mais s’est positionnée sur des métiers à forte croissance.
Créée en 1972, Jaiprakash s’est avant tout spécialisée sur les grands projets hydro-électriques, puis a favorisé une intégration verticale en se lancant dans le métier du ciment, puis en se développant dans la gestion d’hotel et les concessions. Créée comme un partenariat, le groupe a grandi rapidement et emploie 25 000 personnes. Il est encore détenu à 44% par les partenaires fondateurs. C’est typiquement l’entreprise paternaliste indienne dont la mentalité serait assez proche d’un groupe comme les cristalleries d’Arc.
Aujourd’hui, l’entreprise est présente dans deux métiers principaux : le ciment (1/3 de son chiffre d’affaires) et le BTP (2/3 de son CA). Les autres métiers sont anodins (le groupe possède par exemple 4 hotels de luxe) ou en phase de développement (tels que les projets de gestion de centrales hydro-électriques ou la construction d’une autoroute).
Jaiprakash vaut horriblement cher en bourse à près de 4 fois son chiffre d’affaires publié ou encore plus de 22 fois ses résultats attendus, mais cela cache des contrats de production d’électricité qui sont encore en phase de développement et expliquent un endettement élevé (plus de deux fois les fonds propres).
L’entreprise mérite le coup d’œil pour plusieurs raisons :
Premièrement, c’est le grand spécialiste indien de la construction de barrages et usines hydro-électriques. Dans le dernier plan gouvernemental, le groupe a obtenu 54% des nouvelles constructions en la matière. C’est l’entreprise domestique la plus certifiée dans ce domaine qui a des barrières à l’entrée élevée vu la complexité des projets. Le secteur est de plus en plein boom. Les besoins en électricité en Inde sont énormes et le pays voulant limiter sa dépendance étrangère veut favoriser rapidement le développement de nouvelles capacités hydro-électriques. Pour atteindre l’objectif que le gouvernement s’est assigné, il y aura besoin d’ajouter sur les dix prochaines années plus de capacités que celles construites sur les 20 dernières années. Dit autrement, il faudra environ 1000MW de plus par an, soit pour donner un ordre d’idée une tranche nucléaire/an. Et les perspectives selon les plans suivants sont encore plus élevées. Cela représente un chiffre d’affaires important pour une entreprise de cette taille. Son carnet de commandes est déjà de 1,6 milliards d’Euro, soit plus de trois ans de visibilité. A noter enfin que ce secteur niche est très profitable avec des marges opérationnelles qui se situent entre 20 à 30% !
Deuxièmement, le groupe est présent dans le ciment et s’y développe très rapidement. Rappelons (cf article précédent) que le métier du ciment profite d’un développement rapide de l’immobilier et de nombreux projets d’infrastructures, de hausse de capacité raisonnables et donc d’un prix réalisé qui s’est apprécié récemment alors que la demande est encore très faible rapportée à la taille et aux besoins du pays. Jaiprakash est présent au nord du pays dans les 3 états les plus peuplés d’Inde, là où les taux d’utilisation des capacités sont élevés. Il figure parmi les trois premiers producteurs dans ces régions et a très fortement augmenté ses capacités de production ses dernières années ; en 2005, celles-ci sont passées de 4,6 million de tonnes à 7 million. Elles devraient croître à 10 millions d’ici 3 ans, alors que le groupe se développe dans le nord ouest du pays là où l’offre manque. La hausse des volumes à venir, les économies d’échelle et les réductions de coûts en passe d’aboutir – des coûts abaissés de 4% grâce à une production d’électricité en Interne et le meilleur emplacement de la nouvelle usine qui réduit les coûts de fret- devraient permettre un grand bond des profits de cette division. Alors que la marge opérationnelle était de 13% l’année passée, elle pourrait atteindre 19% d’ici 3 ans selon les analystes indiens !
Enfin, le groupe a été un des premiers à prendre un contrat de concessions (en l’occurrence de BOT) dans le domaine hydro-électriques. Après avoir construit une centrale de 300MW, le groupe a commencé à l’exploiter. Il en a déjà vendu 1/3 sur le marché et cela a été bien accueilli puisque cette IPO a été réalisée à 3,2 fois l’actif net. Le groupe a deux autres projets en cours de construction qui seront exploités ensuite : une centrale de 400MW arrivant à échéance en mars de cette année puis une autre de 1000MW pour 2012. C’est dans cette nouvelle division qui n’est pas encore consolidée dans le compte de résultats que réside la grande inconnue du groupe : autant la diversification du groupe dans les concessions électriques seraient bien vu en Europe, autant celles-ci a entrainé un fort endettement du groupe alors que les retours sur investissements dans ce secteur ne sont pas encore connus. Dans l’état actuel des choses et suite au bon accueil par le marché de la première IPO de centrale hydro-électrique, le retour sur investissements s’avèrerait élevée (entre 20 à 25%). Au rythme des choses, le profit de l’ensemble du groupe après consolidation des centrales mises en production pourrait être multiplier par 5 en 6 ans !
Reste enfin des métiers connexes mais qui offrent au groupe une diversification hors de la construction de centrales et donnent des relais de croissance suivant l’aléa des obtentions de contrats. Par exemple, Jaiprakash vient d’obtenir la construction sur 7 ans et la concession sur 36 ans de l’autoroute de 160 km reliant Delhi à Agra. Cerise sur le gâteau, le groupe a obtenu une concession de 99 ans des espaces connexes (station-services, aires de repos…) au dixième du prix du marché. On dira qu’à l’instar de la France, le métier du BTP n’est pas exempt de corruption.
En conclusion, on notera les perspectives intéressantes du groupe. Dans le BTP, le groupe a obtenu pour 1,6MM€ de commandes. Ne voyant pas de nouveaux entrants, les marges devraient rester stables –sauf délai sur un projet- alors que le chiffre d’affaires sera en progression d’un minimum de 10% par an (le cycle de construction est entre 4 à 5 ans). Dans le ciment, les volumes devraient fortement croître (jusqu’à 17%/an) et avec un prix du ciment en légère appréciation sur les prochaines années, le profit de cette branche pourrait croître de 30%/an. Ajoutons à cela la mise en production des centrales hydro-électriques en construction, et le résultat net pourrait bondir de plus de 30%/an d’ici 2008. C’est tout cela qui explique la valorisation élevée du groupe. Restent les risques inhérents à l’entreprise : des délais de construction sur des contrats de taille importante vis à vis de celle de l’entreprise, des taux d’intérêts qui remontent alors que le groupe doit s’endetter pour financer de nouvelles concessions, une trop forte hausse de capacité de ciments en Inde qui fasse fondre les prix de vente ou encore la difficulté budgétaire de l’Etat indien qui l’oblige à réduire ses investissements en infrastructure.
Jaiprakash est finalement le type même d’entreprise qui plait aux investisseurs : un secteur porteur et dont la croissance pourrait s’accélérer, des marges élevées, de la valeur cachée et une stratégie de diversification qui atténuera le risque de l’entreprise. Cependant, la valorisation du groupe est record et deux fois plus élevée que ses comparables européens alors que le marché domestique du groupe (l’Inde et seulement l’Inde) est un pays qui reste à risque. Enfin, deux questions qui me sont propres : la pénurie de main d’œuvre qualifiée et l’inflation des coûts de main d’œuvre.
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