Cet article sera publie dans notre revue trimestrielle. Il a pour objectif de resumer l'economie indienne en quelques lignes. Bonne lecture.
L’Inde est dans une phase de rattrapage économique. Pour comprendre ce que cela signifie il faut reprendre l’histoire politique de ce pays. Lorsque l’Inde accède à l’indépendance, le parti du Congrés sous la direction de Nehru a des idées claires en ce qui concerne l’économie : premièrement, la population est une force du pays. Il faut donc favoriser la natalité. Résultat la population aurait quasiment triplé depuis 60 ans ! Deuxièmement, la pauvreté de cette population-et notamment des basses castes- est telle qu’il faut des mesures révolutionnaires. Le capitalisme ne permet pas une rupture économique assez rapide. Seul le système public peut permettre une redistribution rapide des richesses. Dès lors, le pays conservera une forte suspicion à propos des acteurs privés qui rechercheraient à s’enrichir au détriment du pays. Troisièmement, le pays doit rester non-alignés aux grandes puissances coloniales. D’où la volonté du gouvernement de ne pas se reposer sur les exportations mais uniquement sur un système autarcique capable de tout produire à renfort d’une grande planification économique. Dernièrement, Nehru n’appréhendait pas l’intérêt de la concurrence : pourquoi produire 10 dentifrices différents quand une seule marque suffit ! Cette idéologie a donc abouti à la nationalisation de la plupart des entreprises du pays ; nationalisation qui a culminé sous le règne de sa fille, Indira Gandhi, avec celles des banques indiennes. Reste que pour paraître indépendant du modèle soviétique-pourtant pris en exemple-le gouvernement a maintenu quelques entreprises privées.
Le malheur de l’Inde est que ce système économique a perduré pendant quarante ans. Dès lors une bureaucratie inimaginable s’est instaurée qui fixait les prix des produits manufacturés et donnait les autorisations aux projets d’expansion de toute entreprise ; bureaucratie particulièrement électoraliste qui favorisait le développement agricole au détriment des secteurs à plus forte valeur ajoutée. Les conséquences de cette politique économique désastreuse : une croissance économique de seulement 3,5% sur la période pour une population en croissance de 2,5% par an. Soit un enrichissement par individu ridiculement bas en quarante ans qui aboutit à un richesse nationale (PIB) d’un tiers de celle de la France pour une population au bas mot 20 fois supérieure.
Ne parlons plus de l’Etat réelle de l’économie à la fin des années 80 qui cumulait pénurie régulière de matières premières, industrie de mauvaise qualité en sureffectif, goulots d’étranglement récurrent, manque d’infrastructures…La grande interrogation est de savoir comment le pays a pu survivre si longtemps, c’est la tout le génie indien. Reste que tout leur génie n’a pu empêcher une situation de quasi-faillite de l’Etat lors de la première guerre mondiale lorsque la facture pétrolière s’est envolée et que l’Inde n’avait plus d’argent pour payer. Le FMI arrive alors à la rescousse mais impose une libéralisation de l’économie. Le ministre des finances du gouvernement d’alors, Manmohan Singh fait voler en éclats la législation économique contraignante du pays en seulement quelques semaines. Depuis le pays connaît des taux de croissance variant entre 6 et 7%/an. Depuis aussi, le pays connaît une phase de rattrapage avec des accélérations plus ou moins fortes au gré des privatisations et de l’ouverture du pays au commerce international.
La croissance indienne a été spectaculaire sur les deux dernières années : en 2004 elle atteignait le chiffre record de 8,9% pour s’atténuer l’année suivante à 7,7%, en partie du fait d’une mauvaise mousson. D’une part, la consommation indienne est en forte croissance : le revenu rural reste stagnant depuis plusieurs années mais il est en forte croissance en ville. Le consommateur bénéficie de l’inflation des salaires dans l’industrie et les services, de la bonne situation économique globale et enfin de la baisse des taux d’intérêt qui ont été divisés par trois en quelques années. Reste que le pouvoir d’achat est faible et que l’acquisition de biens immobiliers et les gros achats (voitures, motos) se sont fait au détriment des biens périssables. Globalement, la consommation est en forte croissance et c’est bien la folie du moment en Inde. Du côté de l’investissement, le pays sort de 10 ans de faibles dépenses des entreprises ; avec des capacités de production utilisées à un niveau record et un financement facilité par l’accès au marché boursier, la baisse des taux d’intérêts ou enfin le recours aux investisseurs étrangers, les investissements devraient fortement croître. Enfin, l’adhésion à l’OMC et le développement des exportations permettent d’offrir des opportunités de croissance intéressantes aux entreprises indiennes (telle que l’externalisation des services informatiques ou encore les médicaments génériques). Globalement, l’investissement des entreprises sur les 5 prochaines années pourraient être 5 fois plus élevées que sur les 5 dernières ! Reste enfin les dépenses publiques : l’Etat envisage une croissance des dépenses d’infrastructure de 70% dans son nouveau plan quinquennal. C’est là le point noir de l’économie indienne : avec un déficit budgétaire de près de 5% et une dette publique qui représente déjà plus de 80% du PIB, l’Etat a des moyens limités. L’idée est alors d’avoir recours aux investisseurs privés pour financer les besoins en infrastructure du pays ; c’est le challenge des prochaines années.
Si on regarde l’économie indienne différemment, elle se divise en trois secteurs : l’agriculture représente 22% de la richesse nationale pour près des 2/3 des emplois. La population rurale est pauvre et dépendante de la qualité de la mousson. Après un boom de la production agricole dans les années 70 grâce à la mise en place de la révolution verte qui a permis d’améliorer les rendements, le pouvoir d’achat des agriculteurs stagnent. Une deuxième révolution pourrait advenir avec l’introduction des OGMs et la rationalisation des parcelles agricoles, mais pour des raisons électoralistes, cette réforme tarde. Du côté de l’industrie (20% du PIB), les choses s’améliorent même si de nombreuses lacunes subsistent. Le tissu industriel est varié mélangeant entreprises internationales performantes, entreprises publiques inefficientes en voie de mutation et pléthores de petites PMEs encore protégées mais qui devront se retructurer et grandir. Le pays a quelques points forts et non pas seulement dans les secteurs les plus connus comme le textile et la pharmacie : il y a aussi la chimie, les composants automobiles, la sidérurgie et bien d’autres encore. L’ouverture du pays profite à l’industrie qui connaît des taux de croissance de 6 à 7% par an malgré de nombreux goulots d’étranglements. Reste enfin le secteur des services, le grand succès de l’Inde. Les services ne représentent que 18% de la main d’œuvre mais 56% du produit intérieur brut. La libéralisation du secteur financier et le développement dans l’informatique explique des taux de croissance de près de 10% par an. Le pays pourrait bien devenir le back office des grandes multinationales occidentales, profitant d’un coût de la main d’œuvre bas (un ingénieur coûte 300€ par mois), d’un bon système scolaire et de la pratique généralisée de l’anglais.
Globalement après quarante ans d’économie marxisante, l’Inde est toujours dans une phase de rattrapage. Sa croissance est deux fois supérieure à ce qu’elle était sur la période précédente mais toutes les réformes n’ont pas été encore faites. Le pays profite de la libéralisation de son économie et de son ouverture vers le monde, avec notamment une très forte croissance de ses exportations de services et de produits finis. Reste qu’il subsiste quelques points noirs : un Etat encore proéminent et endetté, des nombreux goulots d’étranglements dans la production provoqués par le manque d’infrastructure et l’alourdissement de sa facture énergétique. L’Inde est en forte croissance mais ce n’est pas la Chine : les lourdeurs administratives restent, l’environnement n’est pas aussi propice aux investisseurs et l’Etat est plus concentré sur les prochaines élections que sur le développement économique du pays.
Rectification: "Guerre du Golfe" à la place de "1ere guerre mondiale"
Rédigé par : Mandar | jeudi 20 septembre 2007 à 16:05
Très bon article, intéressant et instructif sur un ton agréable à lire
Il me semble juste qu'il y a une petite coquille dans la phrase "Reste que tout leur génie n’a pu empêcher une situation de quasi-faillite de l’Etat lors de la première guerre mondiale lorsque la facture pétrolière s’est envolée et que l’Inde n’avait plus d’argent pour payer";
je pense qu'il faut remplacer 1ere guerre mondiale par premier choc pétrolier, sinon Manmohan Singh serait d'une longevité incroyable...!
Rédigé par : Mandar | jeudi 20 septembre 2007 à 15:24