Longtemps le gouvernement indien a tout fait pour empêcher le développement d’une industrie automobile d’ampleur. On ne comprend pas les raisons derrière, si ce n’est la nécessité pour les industriels nationaux de s’allier dans un premier temps avec des groupes étrangers pour bénéficier de transferts technologiques ; ce que l’idéologie autarcique du pays ne tolérait pas. Ainsi Tata avait proposé de développer des produits japonais dans les années 70 ; ce qui lui avait été refusé. Les seules voitures produites alors étaient des modèles datant de l’après seconde guerre mondiale en Europe.
La révolution intervient lorsqu’enfin un industriel, Maruti, est autorisé à produire une petite voiture sous franchise Suzuki. Nous sommes alors en 1981. La Maruti
Rapidement d’autres constructeurs ont fait leur apparition, qui vite se sont positionnés sur des marchés niche : Mahindra s’est ainsi spécialisé dans le 4*4 en développant une copie de jeep Willy. Tata s’est développé dans le segment C (petite berline à 4 portes). Enfin le haut de gamme était constitué de quelques voitures d’importation au prix particulièrement coûteux du fait de frais de douane pouvant doubler le prix réel du véhicule. L’impression qui se dégageait alors du secteur automobile indien était que chaque constructeur pâtissait de volume très faible mais profitait de segment niche sans réel concurrent.
L’ouverture du pays à l’étranger, l’adhésion à l’OMC et la baisse concommitante des frais de douanes (plus que 10% aujourd’hui) a provoqué un boom des ventes et une explosion du choix. Le consommateur indien se porte dorénavant plus facilement vers des modèles d’import. Cela reste mesuré car le marché indien a quelques spécificités propres- notamment des très petits modèles économiques- et les constructeurs nationaux ont anticipé ce mouvement et étendu leur gamme.
Sur les 3 dernières années, le marché automobile a connu un boom de ses ventes : consécutivement il a cru de 9%, 29% et 17% l’année passée. Cette forte croissance s’explique par l’enrichissement rapide de consommateurs indiens sous-équipés (bonne tenue de l’économie), l’extension de l’offre et la chute des taux d’intérêt sur la même période : notons que 85% des véhicules vendus sont financés par prêt.
Après une période d’équipement rapide des consommateurs, les ventes ont tendance à décélerer en ce début d’année. Reste que les perspectives à long terme du secteur sont positives : la hausse continue du revenu par habitant, l’urbanisation de la société indienne, l’amélioration du réseau routier, la faiblesse des taux d’intérêts sont autant d’éléments porteurs malgré une période de tassement temporaire ; en effet, la concurrence du secteur ferroviaire, la hausse des coûts de production (dûe à l’augmentation du prix des matières premières) et la hausse de l’essence sont autant de facteurs contraignants.
D’aucun même anticipent des chiffres mirobolant : Goldman & Sachs considèrent que si les ventes sur les 5 dernières années restaient inférieures à 1 million de véhicules par an, d’ici 30 ans, elles pourraient être de plus de 20 millions par an ! Sans aller jusque-là, disons que le marché automobile indien pourrait connaître une croissance future d’un même niveau que la tendance passée ; ce qui en ferait rapidement un des premiers marchés mondiaux !
La structure du marché :
Le marché automobile indien n’est pas encore un grand marché à l’exception du segment des petites voitures où il représente le deuxième plus grand marché mondial. Les petites voitures (de la taille d’une Twingo mais à quatre portes) représentent la moitié du marché : c’est la conséquence de l’histoire (introduction en premier lieu de la Maruti
En somme globalement, 80% du marché est constitué de véhicules à moins de 10 000€. Ce sont majoritairement des petites automobiles à la technologie dépassée, de relativement bonne qualité et avec un nombre d’options très faibles. Reste enfin 20% du marché réparti entre des véhicules plus haut de gamme très souvent importés.
Les autres marchés automobiles :
Le marché automobile est dans une phase de croissance mais ne constitue qu’un marché parmi tant d’autres. Le pays est aussi le deuxième plus grand marché de moto au monde (plus de 6 millions d’unités par an), le 5ème marché de camions et bus (véhicules commerciaux) du monde, le premier marché mondial de 3 roues (les fameux rickshaws) et le 4ème marché de tracteurs du monde.
Un bref aperçu de ces secteurs :
a) Le marché moto : C’est le premier signe de richesse extérieure ! Avec un enrichissement rapide des citadins, ce marché a explosé : en 1988 le parc de moto était de 6 millions d’unités alors qu’en 2004 il était déjà de 52 millions. Là encore, hausse du revenu par habitant, baisse des taux d’intérêts et urbanisation explique le boom des ventes. Mais l’élément accélérateur a été la baisse du prix de ventes : si dans les années 80 la majorité des modèles de moto étaient des Enfield (la moto de l’armée britannique au sortir de la guerre), de nouveaux constructeurs (Hero Honda, Bajaj) ont proposé des petites unités (de 100 à 150 cm3) a des prix très attractifs : le modèle d’entrée de gamme se vend en effet à 600€ ! Ce marché devrait continuer à connaître une forte croissance, car le parc actuel ne représente qu’un quart des ménages indiens. Mais progressivement, l’automobile devrait se substituer : il est ainsi intéressant de noter que 60% des acheteurs d’une première voiture possède déjà une moto.
b) Le marché des camions et bus : les ventes ont atteint 320 000 unités l’années passées. Il faut discerner entre le marché des camions en pleine croissance et le marché des bus en faible croissance. Rappelons que le marché du camion a une histoire plus ancienne en Inde. Les modèles principaux sont de technologies anciennes (peu efficient en terme de consommation) mais très peu cher. Le transport routier suit quasi parfaitement la croissance de la richesse nationale. La bonne tenue du PIB explique le développement des ventes de camions. L’élément accélérateur actuel est la construction d’un réseau routier de meilleur qualité qui rend ce moyen de transport de marchandise plus efficient : en guise d’exemple la vitesse maximale d’un camion était jusqu’alors de 50kmh ! Le transport routier pourrait prendre de plus en plus de parts de marché au ferroviaire. L’offre est aujourd’hui réduite mais la très forte chute des frais de douanes et la passation de nouveaux partenariats entre des industriels indiens et des constructeurs étrangers devraient permettre l’offre de nouveaux produits plus adaptés et efficients. Parallèlement, le marché des bus ne connaît pas le même succès : malgré la construction d’un réseau autoroutier, il reste dominé par des acheteurs publics souvent très endettés et donc qui limitent leur achats : cette situation pourrait perdurer et explique la stagnation des ventes.
c) Le marché des trois roues : Dominés par deux acteurs (Bajaj et Mahindra), c’est un marché typiquement indien. Le Rickshaw est utilisé soit comme taxi (mais à un coût deux fois inférieur à une voiture) ou comme transport de marchandise (cette activité est plus marginale). Si l’enrichissement des citadins devrait provoquer une migration des taxis vers l’automobile, le rickshaw a encore toute sa place, du fait d’un prix modique (1600€) qui permet de proposer des courses de taxi très concurrentielle.
d) Le marché des tracteurs : grâce à la révolution verte qui a permis l’enrichissement des paysans, le marché des tracteurs a connu une croissance régulière depuis 1975 (+6-8%/an). Les ventes ces dernières années ont atteint 250 000 unités par an. Mais en 2004, l’influence de mauvaises moussons passées et la stagnation de leur revenu expliquent des ventes qui ont régressé: en 2004 elles n’étaient plus que de 160 000 unités. C’est un marché concentré sur un produit basique (le tracteur simple) sans beaucoup d’options et où les acteurs sont pléthores (indiens comme étrangers). Les ventes pourraient stagner encore ces prochaines années, tant qu’une nouvelle révolution agraire n’aura pas lieu.
La stratégie des constructeurs :
Dans l’automobile en Inde, il y a trois grands acteurs :
- Maruti, le leader qui développe des produits sous franchise Suzuki. Le groupe profite de son modèle à succès, la Maruti
- Tata Motors, qui vient du camion et a développé une gamme de voitures sur le segment C et de pick-ups, qui lui a permis en quelques années de prendre 17% de parts de marché.
- Mahindra qui s’est développé sur le segment des 4*4 et véhicules utilitaires. Mahindra commence à élargir sa gamme et compte produire l’année prochaine la Logan
- Reste enfin les constructeurs étrangers récemment implantés (Hyundai) ou important leurs produits. Les coréens et les japonais sont les seuls vraiment présent sur ce marché. Honda et Hyundai sont les deux constructeurs les mieux implantés. Les autres constructeurs mondiaux ont des ventes marginales.
Les stratégies des constructeurs sont dans l’ensemble similaires. Il faut tout d’abord savoir qu’ils ont eu la partie facile jusqu’ici. Les frais de douanes ont baissé rapidement mais c’est un mouvement très récent. Ils ont donc pleinement profité du boom des ventes automobiles indiennes des 3 dernières années alors que la concurrence étrangère restait faible tout comme la concurrence intra-segment. Ces constructeurs qui n’étaient pas ou très faiblement rentables il y a de ça 4 ans, ont dégagé des marges record sur les deux années passées en saturant leur outil de production et limitant les baisses de prix (pas de remise).
Maintenant leur challenge est tout autre : face à l’arrivée d’une nouvelle concurrence, il leur faut réaliser une stratégie classique (baisse de coût, extension de réseau) tout en étendant leur gamme et en se développant à l’international (principalement les pays émergents) pour limiter leur pertes de parts de marché sur les segments historiques. Leur volume devraient continuer à croître mais leur marges devraient fondre. Tous ne sont pas aussi bien positionnés.
Tata motors :
Créé au début de l’indépendance pour produire des locomotives, Tata motors est rapidement sorti du secteur ferroviaire, doutant de l’évolution favorable d’un métier au client unique et puissant, pour se concentrer dans la production de camions et bus. C’est aujourd’hui l’acteur dominant de ce secteur en Inde : dans les camions, sa part de marché est de 67% et celle-ci est de 52% dans les bus. Puis le groupe, malgré une tentative avortée de développement dans les voitures dans les années 70, a
L’activité automobile en général (voiture et camions) représente l’essentiel du chiffres d’affaires de l’entreprise (92%) mais Tata ne donne pas la répartition de ses ventes entre véhicules lourds (certainement plus de 50% du CA) et légers. Le reste des activités de Tata correspond à des activités de composants automobiles et à une joint-venture Telco avec Hitachi dans le matériel d’équipements lourds (excavateurs, chargeurs…). Si Tata motors est avant tout un groupe indien, il réalise déjà 15% de son chiffre d’affaires à l’étranger, notamment à travers sa filiale coréenne Tata Daewoo, qui lui a permis de conquérir 30% du marché des camions en Corée du sud. A noter que Tata Motors reste à l’échelle mondial un petit acteur : il a produit en 2004 seulement 117 000 voitures et 107 000 camions et bus.
Les résultats récents du groupe sont très bons : en quatre ans, Tata est passé d’un chiffre d’affaire de 1,6MM€ et une marge négative à un revenu de 4 milliards d’Euro et une marge nette de 7% (avec naturellement quelques éléments exceptionnels qui explique ce niveau record). Le groupe profite de la bonne tenue de son marché domestique et d’une utilisation record de ses capacités de production. Sur les trois derniers trimestres, malgré une décélération du marché automobile indien, les ventes de Tata motors ont cru de 10% en volume et le résultat net de 26%. Le groupe reste endetté mais à hauteur de seulement 50% de ses fonds propres après ue période de fort investissement.
La stratégie du groupe n’a rien d’exceptionnelle. Pour faire face à une concurrence étrangère qui s’intensifiera, le groupe axe son développement sur plusieurs domaines ; d’une part, une stratégie très classique de réduction de coûts et d’extension de réseau vers des zones plus reculées. D’autre part, l’accélération de son développement dans le financement automobile : le groupe connaît un succès important dans cette activité dominée par les banques. S’il avait jusque là 5% de parts de marché sur les véhicules existants, il en acquiert 18% sur les nouveaux contrats. Le groupe vient d’étendre sa gamme de financement aux camions et aux flottes de véhicules. Enfin il étend sa gamme de produits : dans l’automobile, il compte lancer d’ici 3 ans un véhicule de très petite taille et au prix modique situé entre celui d’une moto et le plus petit véhicule actuel (peut être 4000 €). Dans les véhicules commerciaux, il introduit en Inde un petit pick up ainsi que son modèle développé en Corée. Finalement, le groupe espère croître hors de l’Inde grâce à l’introduction de pick-ups et bus (il vient de racheter un fabricant espagnol) en Europe, en Russie et en Afrique du Sud. L’objectif est d’y atteindre 20% de ses ventes d’ici 2 ans.
En conclusion, si Tata a bénéficié d’un environnement très favorable, les beaux jours pourraient être temporairement passés : sa stratégie produit n’est pas claire, sa technologie toujours en retard, sa gamme de produits de plus en plus attaquée alors qu’on ne comprend pas clairement la capacité du groupe a baisser ses coûts. En attendant un nouvel élan de la consommation automobile en Inde, on se désinteressera de la valeur.
Mahindra :
Mahindra est un groupe plus diversifié que Tata motors : près de la moitié de son chiffre d’affaires est réalisé dans l’automobile, mais 26% dans les tracteurs, 11% dans les technologies de l’information et 4% dans les services financiers.
Le groupe a aussi profité de la forte croissance de la demande en Inde ces deux dernières années : sur la dernière année publiée, les ventes domestiques ont cru de 23% (et l’export de 90%). Sur 9 mois, le chiffre d’affaires est en progression de 25% à 1,3 milliard d’Euro. La marge opérationnelle s’est nettement relevée depuis 4 ans, passant de 8% à près de 12% sur les trois derniers trimestres.
Cependant toutes les activités ne sont pas aussi porteuses :
Dans l’automobile, si le segment des véhicules utilitaires et des 4*4 bénéficient du renouvellement de la gamme, les ventes de 3 roues reculent. Ce n’est pas bien important car le prix facturé entre un 4*4 et un rickshaw est incomparable. Dès lors le mix de Mahindra s’enrichit et la marge s’améliore. A noter particulièrement que si le groupe copiait par le passé des modèles américains dépassés, il vient de développer sa première voiture en Interne ( la Scorpio la Logan
Dans l’équipement agricole (tracteurs), le groupe, qui est le leader indien a vu ses ventes croître de 56% en 2005, profitant d’un rebond des dépenses de paysans après une bonne mousson et du fait de la chute des taux d’intérêt. Mahindra a des usines aux Etat-unis et exporte dans 22 pays. S’il propose des produits plutôt bas de gamme, il n’est pas considéré comme dépassé sur un point de vue technologique.
Conclusion : le changement de profil de Tata motors est déjà effectué ; le groupe ne nous réserve donc pas de grandes surprises. A l’inverse Mahindra connaît plusieurs changements : a) d’un assembleur de modèle franchisé à un constructeur indépendant, b) d’un constructeur mono-gammes, à un constructeur multigamme, c) d’un constructeur de voiture centré sur l’Inde à un constructeur de camions et véhicules utilitaires plus international. De plus le conglomérat s’est développé dans des métiers à fort potentiel : d’une part les composants automobiles en Inde et d’autre part les équipements agricoles en phase de reprise dans le monde. C’est une entreprise à suivre de près.
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