Le nom de cette entreprise de chaussure ne vous dit certainement rien, pourtant il est fort probable que vous possédez une un plusieurs paires fabriquées par Yue Yuen. Le groupe d’origine taiwanaise en a en effet produit 186 millions l’année passée.
Basé à Hong Kong, ce groupe familial est le premier fabricant mondial de chaussure et sous-traite pour toutes les grandes marques de chaussures de sport (Adidas, Nike, Puma…). La famille Tsai possède encore directement ou indirectement 51% du capital.
Sur un marché mondial de la chaussure d’un peu plus de 20 milliards de $, le groupe a 17% de parts de marché. Il est quatre fois plus grand que le numéro 2 Fing tay.
Yue Yuen a une stratégie qui consiste en plusieurs axes :
D’une part, le groupe tente de dépasser la croissance du marché mondial de la chaussure. -A noter que la chaussure représente 80% du chiffre d’affaires de Yue Yuen.
Après s’être développé sur la chaussure de sport, le groupe est présent maintenant sur l’ensemble de la gamme, et notamment la chaussure de cuir, dont le prix plus élevé permet de dégager un profit plus intéressant.
Depuis 16 ans, l’entreprise fait mieux que le marché. La croissance de ce secteur n’est pas spectaculaire –tout de même entre 5 et 8% par an en volume- alimentée par la démographie mondiale et l’enrichissement de la population. Ce métier n’ayant pas entraîné de quotas américains ou européens à l’inverse du textile, on ne s’attend pas à un boom prochain des ventes. De plus la Chine et les pays émergents d’Asie représentent des ventes trop minces pour permettre aux volumes globaux de l’entreprise de s’accélérer. Si Yue Yuen a chaque année dépassé la croissance de son marché final, c’est grâce à un mouvement d’externalisation de la production de chaussures vers la chîne cotière et par les qualités propres du groupe en terme de qualité de production, d’efforts de recherche et développement (près d’un tiers maintenant de la recherche sur une chaussure est réalisée par le sous-traitant) et d’excellence logistique (les délais de production deviennt de plus en plus courts).
D’autre part, malgré une part de marché déjà importante, le groupe gagne une proportion toujours plus élevée de la production de ses principaux clients (notons que les 5 premiers clients représentent la moitié de l’activité de l’entreprise). Malgré une part de marché qui varie de 25 à 40% auprès des grands chausseurs mondiaux (Nike, Reebok-Adidas, Puma, Converse, NB …), Yue Yuen continue à gagner en parts de marché. Le danger est maintenant que ses clients décident de maintenir la diversité de leur source d’approvisionnement et limite d’autant l’allocation de production aux sous-traitants déjà trop importants. C’est un phénomène probable qui n’a pour l’instant pas été encore observé, les grands chausseurs ayant plutôt tendance à rationaliser leur approvisionnement et poussant même leur sous-traitant à se diversifier dans l’ensemble de la gamme qu’ils produisent : ainsi Yue Yuen a été poussé à développer des joint ventures avec des entreprises chinoises pour produire des vêtements de sports sous les marques Adidas, par exemple. Notons aussi que délai de production, partage des frais de recherches et du circuit logistique poussent les chausseurs à maintenir leurs chiffre d’affaires avec Yue Yuen.
Enfin, pour accélérer sa croissance, le groupe s’est lancé dans la distribution d’article de sports en Chine. Il a maintenant près de 600 magasins réparti à travers l’empire du milieu et en prévoit 1000 d’ici 2 ans. Cette activité lui permet d’accroître son exposition à un pays en forte croissance et de se développer dans un secteur à faible intensité capitalistique mais au potentiel élevé alors que les jeux olympiques de Pékin débuteront en 2008. Bien que j’ai quelques doutes sur la réalité de leur marge dans le secteur, il semblerait que cette activité soit déjà rentable malgré une croissance impressionnante – un chiffre d’affaires en hausse de 130% l’année passée-. Le groupe se targue de dégager une marge opérationnelle de plus de 5% sur l’exercice passée et de même 8% sur le premier trimestre, qui n’est pourtant pas le meilleur de l’année.
Tout le pari de l’entreprise est d’accélérer la croissance de son chiffre d’affaires. Car en terme de marges, le potentiel d’appréciation semble aujourd’hui limité.
En effet, les marges du groupe se sont plutôt contractées sur les dernières années. Il y a de cela plusieurs raisons. Avant tout notons que le groupe se targue de passer des contrats avec ses clients basés sur un coût plus une marge ; Yue Yuen pourrait ainsi passer la hausse de ses coûts de production à ses grands clients. Les choses ne sont en réalité pas si simples et le groupe n’est finalement pas capable de passer des hausses de prix significatives. Yue Yuen a réalisé des gains de productivité impressionnants ces dernières années mais doit les partager in fine avec ses clients. Ainsi malgré des prix de matières premières en hausse de 20 à 50% suivant les produits lors du dernier exercice fiscal, le groupe n’a pu passer qu’une hausse de prix de 3-4%.
Les coûts de l’entreprise ont donc fortement cru. Notons que pour une chaussure dont le prix à la sortie d’usine est proche en moyenne de 13$, les frais de main d’œuvres représenteraient 19% du prix, les matières premières (caoutchouc, pétrochimie, cuirs…) 50% et les frais généraux 19% (dont 6% pour les frais d’énergie seuls). Avec un pétrole dont le cours s’est envolé, des prix de l’électricité qui galopent, et une main d’œuvre en Chine côtière dont les salaires augment régulièrement, les coûts de production ont donc fortement cru. C’est ce qui explique que sa marge d’exploitation qui était de 10,7% sur l’exercice 2004 n’était plus que de 9,5% sur l’exercice 2005.
Il y a t’il une manière de réduire ces coûts ? Oui, la logistique s’améliore et le groupe bénéficie d’économies d’échelle, mais cela reste anedotique. Les délocalisation seront rares car l’outil de production est relativement optimisé. Sur 342 lignes de production, 104 sont au Vietnam où le coût de la main d’œuvre est très bas (un ouvrier y est payé 90$ par mois contre 120 en Chine dans l’entreprise), 54 en Indonésie et 182 en Chine, majoritairement dans le cantonais. Une délocalisation des usines vers le centre de la Chine où les salaires sont moins élevés, n’est pas facilement praticable : en effet cela induirait des coûts logistiques et des délais très nettement supérieurs dans un métier où ces délais sont justement très courts. Le groupe ne délocalise donc qu’à mesure de la construction de nouvelles autoroutes.
En somme, il est difficile pour Yuen Yuen de réduire ses coûts en Interne. Seule une baisse importante des prix des matières premières pourrait permettre une remontée de la marge.
Les derniers résultats publiés :
Sur l’exercice qui a cloturé en septembre 05, le groupe a vu son chiffre d’affaires croître de 16%, à 3,1 milliard de US$. Cela est du à une forte croissance du marché de la chaussure, alliée à une légère hausse des prix et enfin à une contribution plus importante des activités de distribution.
La marge d’exploitation est en baisse à 9,5%, ce qui reste raisonnable vu la forte augmentation de coûts de production auquelle le groupe a été confronté et qu’il a en partie endigué par des gains de productivité non négligeable.
La marge nette est élevée à 9,8% du chiffre d’affaires du fait d’une contribution importante des activités mises en équivalence et d’un taux d’imposition très bas propre à cette industrie exportatrice.
L’entreprise est très peu endetté à hauteur de 18% de ses fonds propres, soit environ 360 millions d’US $. Elle a dégagé sur le dernier exercice annuel près de 190 millions de free cash flows malgré un effort d’investissement soutenu.
Avec une capitalisation proche de 5 milliards de dollar, l’entreprise vaut 16 fois ses bénéfices publiés et 26 fois ses free cash flows. C’est une valorisation relativement élevée pour une entreprise dont la croissance du chiffre d’affaires varie de 10 à 15% mais dont la marge subit les hausses des coûts de matière première et de main d’œuvre.
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