Note préliminaire: cet article sera publié modifié dans notre revue trimestrielle du mois de juillet.
Préambule :
Si la part des Etats-Unis dans la demande intérieure mondiale entre 2000 et 2004 a été de 39%, celles des grands pays émergents (les BRIC, ou le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine) a été de 34%. C’est dire l’importance de ces pays qui ne sont pas seulement des lieux de délocalisation d’usines mais aussi les stimulateurs de l’économie mondiale.
La Chine est au premier rang de ceux-ci grâce à des performances économiques qui continuent de surprendre ; en 2005 la croissance du PIB a été encore de près de 10% tirée par les investissements (+14,5%) et les exportations (+28%). La balance commerciale a même atteint un sommet avec un excédent de plus de 100 milliards de dollar, soit quatre fois le niveau de l’année précédente. Et rien ne semble arrêter la machine chinoise : au premier trimestre de l’année, la croissance de la richesse nationale (+10,2%) n’a pas décéléré. La production industrielle a été en hausse de plus de 17%, les exportations de près de 27% et même les ventes au détail ont cru de près de 13%. Mieux encore, l’inflation qui apparaissait comme un danger potentiel semble s’être relachée au mois de mars, avec seulement +0,8%. Tous les indicateurs sont au beau fixe et on anticipe pour cette année une croissance économique supérieure à 9%.
Pourtant le pays ne peut continuellement croître au rythme actuel et doit trouver d’autres relais de croissance. Deux facteurs ont en effet contribué à la croissance de l’économie chinoise ces dernières années.
Premièrement l’investissement représente une part dans l’économie qu’aucun autre pays émergent n’a jamais connu ; près de 40% du PIB ! La Chine draîne les investissements directs étrangers qui représente 4% du PIB, soit un peu moins de la moitié de la croissance annuel du pays.
Deuxièmement, les exportations ont cru de près de 30% par an sur les quatres dernières années. Elles aussi représentent une part de la richesse nationale importante ; près de 30% du PIB. La Chine a profité des relocalisations d’usines qui se sont accélérées suite à l’intégration du pays dans l’organisation mondiale du commerce fin 2001. L’abolition des quotas textile correspond peut être à la dernière étape de cette transition économique. Ce phénomène d’intégration dans le commerce mondial ne peut donc éternellement continuer : déjà en fin d’année dernière on observait un tassement des investissements alors que le niveau des exportations dépendra à terme de la consommation des ménages américains (près d’un quart des exports chinois) dont la contraction est annoncée du fait de la hausse des taux d’intérêts.
Tout l’enjeu du gouvernement chinois est donc de passer d’une économie tournée vers l’exportation et l’investissement à une économie tirée par sa demande intérieure. La Chine doit donc relancer ses dépenses publiques et accroître la consommation de ses ménages.
L’augmentation des dépenses publiques n’est pas problématique car la Chine semble avoir les moyens de les financer. En effet l’endettement public ne représenterait que 24% du PIB (contre 65% pour la France). Cependant on n’oublie d’intégrer toute une dette contingente qui regroupe le financement des retraites, l’assainissement du système bancaire ou encore les dettes des entreprises publiques. D’aucun parlent d’une dette cumulée qui représenterait 45% du PIB.
Rien que la question de l’assainissement du systèle bancaire est bien houleuse. Une partie des créances douteuses des grandes banques publiques a été placée dans des structures de défaisance ; soit 330 milliards de $. Il reste encore 133 milliards de $ de créances douteuses dans les comptesdes 4 grandes banques publiques mais leur pratique agressive en matière de prêt entre 2002 et 2004 pourrait donner lieu à une deuxième vague de créances douteuses estimée à 220 milliards. Ajoutons encore les créances douteuses hors structures de défaisance et hors ces 4 grandes banques et le chiffre totale pourrait atteindre 900 milliards $.
L’augmentation de la consommation des ménages est une tâche plus ardue. La raison principale de la relative faiblesse de la consommation en Chine provient d’une propension importante à épargner. Le taux d’épargne l’année passée a même été de 25% ; un record mondial ! Cette forte épargne s’explique par l’insécurité des travailleurs chinois. En premier lieu, 80% des travailleurs n’ont pas de plan de retraite. Des fonds de retraite ont été mis en place à partir de 1998 mais le paiement moyen dépasse à peine 60€. D’autre part la santé ; 66% des résidents urbains et 80% des ruraux n’ont pas d’assurance médicale. A cela s’ajoute l’éducation des enfants de plus en plus coûteuse et l’acquisition d’un bien immobilier alors que l’accès au crédit reste difficile. On comprend mieux pourquoi les ménages chinois épargent tant. Un chaufffeur de taxi à Pékin ne se sentira en sécurité que lorsqu’il possèdera 200 000 Yuan en banque. Soit au jour actuel près de 20 ans d’épargne.
La propension à épargner est encore plus importante en campagne. Faciliter l’urbanisation devrait aussi permettre une hausse des salaires moyens et le renforcement de la consommation des ménages. Mais faciliter les déplacements encourt un risque. Près de 300 millions de ruraux sont peu ou prou employés. Un trop rapide exode rural pourrait aboutir à une grave crise sociale alors qu’il existe déjà 100 millions de travailleurs temporaires ou clandestins dans les grandes villes chinoises. Aussi le gouvernement a maintenu le système autoritaire du Hukou ; soit un système de registre familial qui interdit à toute personne né dans une ville de travailler ailleurs sous réserve de l’avalisation d’une autre hukou. En clair une assignation à résidence qui pourrait subir des modifications cette année ou mieux encore être abrogée. Cela devrait permettre de limiter l’inflation des salaires sur la cote chinoise où quelquefois le manque de main d’œuvre se fait sentir et réduire le taux de chômage proche de 5% au niveau national.
Pour faciliter la consommation des ménages et relancer la dépense publique, le gouvernement a donc pris un certain nombre de mesures :
Tout d’abord, soulager la pression fiscale : Un des gros problèmes est le décalage de richesse entre les ruraux et les citadins. Si la moyenne des revenus était similaire il y a vingt ans, aujourd’hui le rapport est de 1 à 3. Pourtant la pression fiscale a été plus importante sur les paysans qui ont peu profité des investissements publics réalisés dans les villes de l’Est. Rappelons aussi que le revenu par habitant à Shanghai est de plus de 6000$ quand celui de Guizhou est de moins de 500$. Le gouvernement a donc décidé d’abolir toute taxe agricole (soit 4% des ressources fiscales), ce qui devrait entraîner une hausse du revenu rural. De plus, il a relevé le seuil d’imposition : le salaire minimal imposable n’est plus de 800 Yuan mais de 1600.
Deuxièmement, le gouvernement a relancé les dépenses publiques. Celles-ci peuvent être directes (subventions) ou indirectes (renouvellement de flotte de voitures d’entreprise). L’intention est d’améliorer le niveau de retraite moyen et la couverture en tentant notamment de régulariser une partie des travailleurs urbains clandestins. Après avoir délaissé la santé publique, il réinvestit de nouveau dans les hôpitaux. Dans l’éducation, il compte reprendre la main et a mis en place un certain nombre de mesures allant de l’augmentation des bourses au paiement de l’ensemble des manuels scolaires aux enfants défavorisés. Dans ces deux domaines, les dépenses devraient croître cette année de 16%. Plus exactement, le gouvernement redirige les dépenses publiques plutôt qu’il ne les augmentent foncièrement. L’intention est ainsi de réduire les subventions au distributeur pétrolier, d’imposer une nouvelle taxe aux producteurs d’hydrocarbures et de facturer plus cher les services de gaz et d’eau.
Enfin le gouvernement désire restructurer le crédit. En 2007, le marché bancaire va être ouvert à la concurrence étrangère ; ce qui explique la restructuration actuelle des grandes banques publiques qui après avoir exclusivement financer les grandes entreprises publiques peu productives s’intéressent aux clients plus rentables que sont les consommateurs et les PMEs. Jusque là, ceux ci devait se financer par le recours au marché informel (près de 900 MM de Yuan tout de même) où les taux d’intérêt variait entre 12 et 20% quand ceux du marché variaient entre 3 et 5%. L’ouverture du marché et la reconnaissance officielle de structures informelles devraient permettre de faciliter le crédit à la consommation et les prêts petites structures entreprenariales.
La Chine a profité de son intégration dans le commerce mondial pour développer son économie à base d’investissements et d’exportations. Dorénavant le gouvernement désire relancer la dépense sociale et favoriser la consommation des ménages pour trouver d’autres relais de croissance et limiter les inégalités régionales. C’est une politique qui se fait tout en douceur où la planification autoritaire prend tout son sens et qui pourrait permettre de maintenir à long terme des taux de croissance toujours aussi élevés.
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