Préambule :
Je remarquais il y a un an, que toute la stratégie d’Arcelor était d’accélérer son développement au Brésil ; ce qui m’a poussé à m’intéresser à un sidérurgiste local, Gerdau, une entreprise basée à Porto Alegre, ville de première étape de mon séjour au Brésil.
Gerdau est un des premiers aciéristes du pays et l’un des plus importants producteurs des Amériques. L’entreprise est détenue à majorité par une holding de tête, appartenant à la famille du même nom. Le groupe a réalisé l’année passée 25,5 milliards de reals, en hausse de 9% (un dollar valait alors 2,3 reals) pour un résultat net stable de 3,2 milliards. D’une petite entreprise de clous il y a cent ans, le groupe est devenu un producteur d’acier long reconnu dans le monde.
Mais avant d’exposer les problématiques de l’Alegre, je désirerais développer quelques points sur l’industrie de l’acier.
D’abord, quelques généralités :
L’année dernière, dans le monde, il s’est produit près de 1100 millions de tonnes d’acier, soit une hausse de près de 6% par rapport à l’année 2004. La Chine seule a representé l’ensemble de cette hausse ; l’empire du milieu produit dorénavant 350 millions de tonne (31% de parts de marché dans le monde), en hausse de 25% par rapport à l’année précédente. Globalement, c’est devenu un exportateur net d’acier, et plus particulièrement d’aciers longs. L’Amérique du Nord, malgré une demande en hausse, a vu sa production décroitre d’un peu plus de 5% à 127 millions de tonnes. Aux Etats unis par exemple près d’un quart de l’approvisionnement est aujourd’hui importé. Enfin, l’Amérique du Sud a vu aussi sa production temporairement légèrement baissé (45 millions de tonne, soit –1%). Notons que 70% de la production sud américaine est réalisée par le Brésil, dont l’année a été jugée mauvaise.
La politique monétaire restrictionniste du gouvernement Lula a réduit la croissance économique à un rythme très bas et les ventes d’acier ont fondu. La production brésilienne a continué à croître de près de 4% grâce à la hausse des exportations mais le marché domestique a été mauvais. Dans l’acier long qui nous intéresse à présent (du clou à la barre de construction) et que l’on distingue de l’acier plat (par exemple la tôle automobile), les ventes domestiques ont été en baisse de 11% dans le pays. Heureusement, les exportations ont été en forte hausse (+26%) ce qui a permis de compenser la faiblesse de la demande intérieure. Remarquons que dorénavant un tiers de la production brésilienne est exportée. Le Brésil reste un petit producteur mondial (2,8%) mais commence à devenir un exportateur de poids.
Comment produit on de l’acier ?
On produit soit par haut fourneaux, soit par arcs électriques. Pour produire de l’acier, il faut de la ferraille, ou bien de la houille (précisément de la coke) et du minerai de fer. L’accès à une matière première la moins chère possible est un facteur fondamental à la réussite des aciéristes. Face à des groupes miniers de grande taille, la volonté de pouvoir peser dans les négociations d’achat explique les méga-fusions auxquelles nous assistons chez les aciéristes à l’instar d’un Mittal-Arcelor. La main d’œuvre représente un coût faible au regard des divers achats et notamment de l’électricité, utilisée en grande quantité pour la production d’acier. Reste aussi que dans cette activité à forte intensité capitalistique, le coût du capital est un facteur essentiel. Enfin, face à un coût de transport qui dans certains cas peut être élevée, la proximité avec la demande est un facteur non négligeable ; cette demande par ailleurs suit les délocalisations d’industrie vers la zone pacifique.
Aujourd’hui, nous classerons les sidérurgistes en 3 types : les sidérurgistes occidentaux qui se concentrent sur la technologie et la valeur ajoutée, puis les sidérurgistes des pays émergents (russes, brésiliens) qui profitent d’un accès aux ressources à bas prix (de l’électricité au minerai de fer) mais ont souvent un coût du capital encore élevé. Reste les sidérurgistes chinois profitant d’avantages comparatifs certains mais dont la situation domestique est si complexe que cela nécessite de les classer à part. Vous vous reporterez à l’article précédent sur Baosteel pour plus de précisions sur la sidérurgie chinoise.
Deux grands marchés de l’acier dominent dans le monde.
En premier lieu la Chine où les capacités de production augmentent très rapidement. Le gouvernement tente de limiter les surcapacités que cela pourrait entraîner mais avec un succès mitigé. Si le ralentissement des constructions neuves s’avère, les producteurs en forte surcapacité pourraient rechercher des débouchés à l’export en fléchissant nettement leurs prix de ventes. A suivre donc…
En deuxième lieu, les Etats-Unis, dont la demande en acier a été portée ces dernières années par la bonne tenue du secteur de la construction puis plus récemment par la reprise des investissements des entreprises. La hausse des taux d’intérêt pourrait provoquer une moindre demande de maisons neuves et la demande en acier pourrait fléchir à moins la mise en place de la part du gouvernement d’une politique de grands travaux.
Les prix de l’acier, qui sont depuis deux ans à des niveaux élevés, dépendent de la tenue du marché immobilier en Chine et aux USA avant tout et des surcapacités -raisonnables ou non- à apparaître dans l’empire du milieu. Les coûts de production pourraient légèrement fléchir (à l’image du prix du charbon) à mesure que la production de minerai et d’électricité s’ajuste à la demande).
Gerdau par elle-même :
La première interrogation est de connaître les avantages comparatifs de l’entreprise :
Sa géographie la favorise ; Gerdau est fortement présente sur des marchés relativement fermés. Le groupe réalise 34% de ses ventes au Brésil où les coûts de production sont bas et l’industrie déjà concentrée. Dans l’acier long, Gerdau a 48% de parts de marché sur son marché domestique. Le groupe réalise 6% seulement de son chiffre d’affaires ailleurs en Amérique du Sud, mais cela devient de plus en conséquent à mesure que le groupe rachète des actifs un peu partout. Ses parts de marché sont conséquentes dans des pays où la construction reprend nettement et où la concurrence est plus politique qu’économique : l’Uruguay (90% de parts de marché), le Chili (53%), la Colombie (37%) et bientôt le Pérou et l’Argentine. Son exposition sur l’Amérique du Nord depuis le rachat d’Ameristeel en 1999, lui profite grâce au rédressement des prix de l’acier mais pourrait s’avérer délicat dans le futur. Le groupe est le deuxième producteur d’acier long (19% derrière Nucor 27%). Enfin, Gerdau exporte 13% de son chiffre d’affaires du Brésil vers l’étranger, pour moitié sur l’Asie profitant du coût bas du fret sur les trajets retour en Asie (seulement 40$/tonne). Globalement, sur ses métiers historiques, Gerdau est très profitable en comparaison d’autres sidérurgistes. Sa marge brute d’exploitation au Brésil était de 31% l’année passée mais de seulement 15% en Amérique du Nord. Même les exportations restent bien margées bien qu’ elles le seraient moins que les ventes domestiques. Il est malheureusement dommage que l’entreprise ne donne pas plus de précisions chiffrées qui nous permettrait de connaître son réel avantage comparatif face aux entreprises exportatrices chinoises.
Le groupe profite aussi d’une matière première à bas prix. Premièrement, c’est le plus gros acheteur de ferraille de tout le Brésil et il fait même figure de market maker. Il achète à un réseau de 3500 fournisseurs de la ferraille à bas prix ; de 130 à 150$ la tonne alors que sur le marché de référence, les Etats-Unis, la tonne varie de 150 à 250$. Son réseau fait ainsi figure d’un ticket d’entrée élevée pour qui veut pénétrer le marché brésilien. Deuxièmement, il se fournit en minerai de fer de diverses manières ; 10% est extrait de sa propre mine dont les permis d’agrandissement se font attendre, 45% est acheté à des petits producteurs sans moyens logistiques pour exporter et qui lui facture le fer 50% moins cher que s’il devait l’acheter à CVRD (le premier producteur mondial de minerai de fer). Le reste est acheté au prix du marché auprès des grands groupes miniers locaux. Le charbon qui est importé pour partie, reste l’handicap du groupe bien que cela soit à mitiger car Gerdau produit de l’acier majoritairement à partir de ferraille.
L’entreprise profite aussi d’autres avantages : par exemple d’un prix de l’électricité bas à environ aujourd’hui 45-48$ par Mwh au Brésil contre 50 à 60 aux USA. Relativisons cependant car les pénuries d’électricité existent dans le pays notamment quand la pluviométrie a été mauvaise. Le bas coût de la main d’œuvre est un autre avantage. Enfin, Gerdau met en avant le bon équilibre de son outil de production réparti entre grosses usines de production d’acier brut (ie Açominas avec 3 et bientôt 4,5 millions de tonnes par an) et petites unités de transformation très flexibles.
Dans les inconviénients, il faudrait considérer la petite taille de l’entreprise : face à un géant comme Mittal-Arcelor qui produira plus de 100 millions de tonnes d’acier par an, Gerdau avec une production de 13,6 million de tonnes et une capacité de 16,7, le groupe brésilien est encore un petit acteur- à peine de la taille du britannique Corus. Ce problème de taille apparaîtra moins important à mesure que le groupe acquérera de nouveaux actifs et se développera par croissance organique. D’ici 2008, ses capacités de production pourraient atteindre plus de 21 millions de tonnes. Sur le Brésil seul où l’effort d’investissement est concentré, les capacités pourraient croître de plus de 10%/an ces prochaines années. C’est espérer beaucoup de l’économie du pays ou croire en la facilité de trouver des débouchés extérieurs.
Le deuxième inconvénient du groupe était sa difficulté à se financer à bon prix. Cela n’était pas la faute de Gerdau mais plutôt celle du Brésil à l’inflation et aux taux d’intérêts élevés. A titre d’exemple, le coût de la dette domestique de notre entreprise était en 2005, de 16,8% ! Cela tend à disparaître pour trois raisons : d’une part le groupe exporte, finance ses exportations à des taux internationaux intéressants et rentre des devises étrangères dans le pays. De plus, le pays a acquis des actifs en Amérique du Nord. Les deux tiers de sa dette sont en devise étrangère (avant tout en dollar) mais face à des revenus dans la même monnaie. La part des revenus non couverte est très faible. Enfin, le groupe a profité de l’embellie actuelle pour d’une part rallonger la maturité moyenne de sa dette (celle-ci est passée de 4 à 9 ans, notamment grâce à l’émission d’une obligation perpétuelle à un taux de 8,8% !) et remplir ses réserves : le cash a fortement augmenté dans le bilan du groupe en prévision d’acquisitions futures. La dette totale est de 7,6 milliards de reals, mais la dette nette n’est que de 2,2 milliards. Soit le groupe gagne en taille, soit il rembourse progressivement sa dette avec son cash actuel, ce qui lui permettra d’améliorer sa notation financière ( ce que l’on appelle son rating) et de se refinancer à terme à des taux plus avantageux. Notons que globalement, Gerdau est une des entreprises les moins endettées du secteur ; sa dette ne représente que 20% de ses fonds propres.
Mon Opinion :
Dans le grand concert des fusions qui commence, Gerdau a l’avantage d’une bonne trésorerie, d’un management compétent et d’avantages comparatifs certains. Faut il encore qu’il ne fasse pas la bêtise d’acquérir des sociétés à vil prix. Globalement, nous dirons que c’est une belle entreprise d’un pays en voie de développement.
Mais j’ai un reproche majeur à faire à l’entreprise. Je doute de la justesse de son allocation de capital. Le groupe favorise son développement international par acquisition dans des pays à potentiel mais risqué (en Amérique du sud) ou connaissant une embellie temporaire (en Amérique du Nord et en Europe) au détriment d’autres secteurs plus rentables ; je pense notamment à la production de minerai de fer ou d’électricité en interne. Ses projets d’expansion semblent ambitieux mais trouver les débouchés à l’export sera un challenge difficile.
Quelques généralités sur la sidérugie brésilienne :
La sidérurgie est un secteur d’importance au Brésil. Dans son ensemble, elle a réalisé près de 12 milliards de dollar de chiffre d’affaires en 2004 et emploie près de 68 000 personnes. La production croit vite : elle a atteint 33 millions de tonnes cette année-là contre 25 millions 5 ans plus tôt. Si dans les années 70, la majorité de la production était entre les mains de l’Etat, les privatisations sont intervenues au début des années 90 et ont permis une hausse des investissements (13 milliards de dollar en 10 ans) et une profonde restructuration ; de 30 entreprises sidérurgiques il y a 20 ans, 4 grands groupes se sont formés qui contrôlent aujourd’hui 97% de la production du pays. La productivité a parallèlement fait un bond ; si un ouvrier produisait 199 tonnes d’acier en 1991, ce même salarié en produisait 499 en 2004.
La capacité de production du pays étant cette même année de 34,7 millions de tonnes, et le taux d’utilisation de 91%, les besoins d’investissement restent importants. On estime finalement que les capacités pourraient encore croître de 30% d’ici 2008.
Il y a dorénavant 26 unités de production d’acier dans le pays, représentant 11 entreprises et 4 grands groupes ; c’est à dire CSN, Usiminas, Arcelor (à travers ses sociétés contrôlées CST, Acesita ou Belgo Minerai) et enfin Gerdau. Chacune a choisi de se différencier. Ainsi Acesita a un quasi-monopole de la production d’aciers plats inoxydables et des parts de marché dominante des aciers au silicium ou des aciers spéciaux (presque deux tiers de la production sud américaine !). Açominas, la filiale de Gerdau, est devenu le premier exportateur mondial de billettes et possède 25% de la production mondiale de chevilles. Ou encore CST qui est le leader mondial sur le marché des plaques (dont la production est exporté à 99%).
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