Pétrobras, pour ceux qui ne connaissent pas encore le nom de ce pétrolier émergent, était jusqu’à peu le monopole public au Brésil en charge du développement des réserves pétrolières et gazières, du raffinage et de la distribution d’hydrocarbures. Même si l’Etat reste encore dominant dans le capital du groupe (près de 56% des droits de votes et 31% des actions), le groupe a toujours été géré comme une entreprise privée de qualité malgré la pression gouvernementale.
Avant de présenter l’entreprise, il conviendrait de faire une brève introduction du secteur des hydrocarbures au Brésil qui bien souvent se confond avec Pétrobras.
Au niveau de l’amont pétrolier, le Brésil -qui est resté longtemps un pays importateur de pétrole- a découvert des réserves abondantes en off-shore dans la région de Rio. Grâce à une faible taxation des concessions d’hydrocarbures, le Brésil est l’un des pays où les efforts de recherches ont été les plus intenses et où les nouvelles découvertes ont été les plus importantes ces 10 dernières années. Si les réserves prouvées n’étaient que de 8,5 milliards baril en 2001, en 2004 grâce aux nouvelles prospections elles atteignaient 13,5 milliards de baril.
Parallèlement, la production nationale est montée en puissance ; sur la même période elle est passée de 1,3 millions de baril par jour à 1,6 millions bpj en 2004 face à une consommation proche de 1,8 millions de baril jour. Le pays devrait atteindre en cette année 2006 l’autosuffisance et pourrait dès les années suivantes commencer à être exportateur net de pétrole. Reste que le Brésil est très majoritairement producteur d’huile lourde difficile à raffiner et qu’il a fallu longtemps compléter la production domestique par des importations en pétrole léger. Remarquons le décalage de prix entre les pétroles légers (le Brent par exemple) et les pétroles lourds brésiliens : il est aujourd’hui de près de 11,4$ par baril.
Dans le gaz aussi, les découvertes commencent à être d’importance (les réserves sont passées de 220 milliards de m3 en 2001 à 316 aujourd’hui) avec notamment la découverte de champs géants dans le bassin du Campos. Ce secteur qui a longtemps été délaissé est en train d’émerger (la production a doublé sur la période). Cela permettra au Brésil d’être moins dépendant des importations en provenance de Bolivie, pays où le risque de rupture d’approvisionnement n’est pas négligeable.
Au niveau de l’aval Pétrolier, les investissements ont manqué ces dernières années du fait de surcapacité qui ont disparu depuis. Le taux d’utilisation des capacités de raffinage est élevé (91% en 2005). Le secteur, malgré sa libéralisation, reste aux mains de Pétrobras qui concentre plus de 98% des capacités. La tendance est à la modernisation des raffineries existantes pour accepter une part toujours plus élevée d’huiles lourdes produites localement et qui deviennent plus attractive à mesure que le prix du pétrole monte.
Enfin au niveau de la distribution, la fixation des tarifs à la pompe reste un grand mystère et une affaire politique. L’imposition du diesel et de l’essence est importante et la tendance est à l’ajustement vers les prix mondiaux mais avec un décalage dans le temps. Sans reprendre tous les chiffres des grands dérivés produits, on notera que le pays est encore insuffisamment producteur de diesel et que le marché domestique se caractérise par une compétition forte de l’éthanol.
L’entreprise par elle-même :
Pétrobras est un leader à bien des niveaux : ses réserves prouvées sont de l’ordre de 11,8 milliards de baril (selon la définition de la SEC américaine) ce qui place le groupe brésilien à la 7ème position mondiale, au même niveau que Total. Sa production était en 2005 de 643 millions de baril de pétrole et de 118 millions de gaz naturel, soit globalement au 8ème rang mondial. Ses réserves représentent 14,6 années de production, soit un chiffre élevé (5ème rang mondial) similaire au leader mondial Exxonmobil et loin devant Total (12,2 ans). Sa capacité de raffinage était en 2005 de seulement 2,1 millions de baril jour quand Total en posséde 2,7 millions. Bien que groupe pétrolier intégré, Pétrobras a un biais plus important vers l’amont pétrolier que les grandes multinationales.
En plus d’une forte croissance, l’entreprise brésilienne cumule les succès ; son taux de succès dans l’exploration de puits (pour transformer un puit exploré en puit producteur) est de 55% contre par exemple moins de 40% pour Exxonmobil. Une autre mesure de la réussite de Pétrobras est le rapport entre les investissements et la production dégagée : Pétrobras sur la période 2005-2008 compte investir 8,6$ par baril contre une moyenne mondiale de 13,7 ! Enfin son taux de remplacement de ses réserves est l’un des plus élevés au monde ( de 131% en 2005 ou encore de 170% en 2004 et 350% en 2003). Autant dire que Pétrobras réalise des exploits quand ses concurrents occidentaux ont de plus en plus de difficulté à trouver du pétrole à des coûts avantageux.
Il faut pour comprendre le groupe, appréhender les grands flux de l’entreprise : Sa production de pétrole au Brésil était de 1,68 millions de baril jour en 2005 complétée de champs internationaux à raison de 163 000 baril jour. Dans le gaz, Pétrobras a produit au Brésil quelques 274 000 baril équivalent par jour au Brésil et 96 000 à l’étranger.
Dès cette année, Pétrobras pourrait devenir exportateur net de pétrole, ce qui n’était pas encore le cas en 2005 (352 000 baril jour d’importation de pétrole léger contre 263 000 de baril jour de pétrole lourd exportés). L’objectif du groupe est d’exporter un million de baril jour en 2011 tout en réduisant les importations de pétrole léger.
Dans l’amont pétrolier, le groupe est surtout un acteur présent au Brésil même s’il a commencé une diversification internationale. Par exemple, ses réserves sont encore concentrées à 89% au Brésil malgré des prospections en Afrique ou dans le golfe du Mexique. En 2005, Pétrobras a produit 1,68 millions de baril jour au Brésil et pourrait dépasser les 1,9 millions cette année (+11,6%). L’objectif est même d’atteindre 2,34 millions de bpj d’ici 2011 sans baisser le niveau de réserve, soit une des croissances (7,8%/an) les plus fortes du secteur (Total n’ambitionne sur la même période que +4%/an).
Dans le gaz, Pétrobras accélère son déploiement suite à la découverte de champs de gaz naturel, profitant du regain d’intérêt pour cette énergie qui n’est dorénavant plus marginale dans la matrice énergétique du pays (9,3% des énergies consommées). Si la consommation est surtout aujourd’hui le fait des industriels, on parie sur le fort développement de la consommation résidentielle d’une part et sur le rééquilibrage des capacités électriques en faveur des centrales à turbine à gaz d’autre part. Pétrobras anticipe une forte croissance de sa production qui est aujourd’hui majoritairement basée en Bolivie en attendant le développement de chamsp au Brésil (où se situe déjà 71% de ses réserves). De 26,5 milliards de m3 produits aujourd’hui, Pétrobras anticipe une production de près de 69 milliards en 2010. Reste que le groupe pourrait revoir ses prévisions à l’aune des difficultés en Bolivie. Sous les conseils de l’inévitable Chavez, le gouvernement bolivien a décidé la nationalisation de la production de gaz sans en avoir ni les moyens financiers ni l’expertise technique ; ce qui pose quelques problèmes d’approvisionnement et laisse le flou quant à l’avenir des importations de gaz bolivien. La volonté finale du gouvernement brésilien est de changer le mécanismes d’indexation des prix au risque de rendre les importations de gaz bolivien non rentables.
Dans l’aval, le groupe est propriétaire de 11 raffineries au Brésil (pour une capacité de 2,1 millions de bpj) et possède 6933 stations service, ce qui représente 34% de parts de marché dans la distribution d’essence et diesel. Le groupe est enfin présent dans la pétrochimie avec une capacité de 460 000 tonnes d’Ethylène, de 250 000 tonnes de styrène ou encore de 120 000 tonnes polystyrène.
Aujourd’hui les raffineries du groupe s’approvisionnent à hauteur de 80% en pétrole domestique (lourd). Mais ce chiffre pourrait croître à près de 92% après modernisation. Cela entraînera une augmentation de la complexité des processus et donc une hausse du coût de raffinage (de 1,9$ par baril en 2005, le groupe prévoit près de 2,9$ en 2011) mais cela améliorera la profitabilité de l’entreprise par une meilleure utilisation de ses pétroles lourds.
Le groupe a revu par deux fois cette année ses objectifs d’investissements pour les porter au niveau record de 87 milliards de dollar sur les 5 prochaines années, majoritairement dans l’amont pétrolier mais aussi dans l’électricité et la modernisation de raffinerie. Pétrobras compte financer la quasi totalité de ceux ci par ses cash flows, n’alourdissant pas sa dette qui n’est plus que de 24,8 milliards de reals (contre 35,8 l’année précédente). Dans l’aval, l’entreprise a deux projets d’importance : d’une part la construction d’une nouvelle raffinerie dans le nord du pays, un projet en collaboration avec le venézuélien PVDSA, capable de traiter des huiles lourdes, ainsi qu’une grande usine pétrochimique intégrée à Rio. Le groupe a aussi réalisé des investissements mineurs, notamment en prenant 50% d’une raffinerie au Texas, lui permettant après modernisation de traiter ses pétroles lourds aux Etats-Unis.
Enfin Pétrobras fourmille de projets : dans l’Ethanol (le Brésil représente déjà 35% du marché mondial) il développe les exportations de cette énergie devenue compétitive. Dans les Bio-diesel, dont la part dans la production de diesel va devenir de plus en plus importante (5% en 2012), le groupe lance de nouveaux modes de production (H Bio).
Les résultats 2005 de Pétrobras ont profité d’un environnement pétrolier extrêmement favorable (le Brent a cru de 42% sur la période). Le chiffre d’affaires est en forte hausse à 179 milliards de reals pour un résultat net de 23,7 milliards majoritairement du à la production de pétrole (l’amont représente 22,7 milliards de résultat net et la production a cru de 13% en 2005) et peu au raffinage ou à la pétrochimie. Quant au secteur du gaz et de l’électricité, il est encore en perte. Le groupe a racheté des actifs dans la génération électrique (près de 2100 MW) -pour sécuriser sa demande finale de gaz future -au lourd passif et éponge progressivement les dettes et les contrats infructueux.
Quelle opinion porter sur Pétrobras ? Le groupe est certainement une des plus belles entreprises d’Amérique du Sud et n’est pas géré comme le bras armée du gouvernement. Reste que l’Etat fait pression pour qu’il se lance de temps à autre dans des projets à la rentabilité douteuse. Pétrobras a ainsi beaucoup investi dans les centrales thermiques pour conjurer un risque prochain de pénurie d’électricité en cas de sécheresse (le réseau de génération au Brésil est majoritairement hydroélectrique). Il s’est aussi porté garant d’achats de 42 tankers produits au Brésil afin de relancer la construction navale nationale, à un prix ou des taux de financements peu intéressants. Reste enfin que le report à la pompe de la hausse des prix du pétrole se fait de manière tardive au Brésil et l’indexation des tarifs manquent de clarté. Aussi globalement, il faut considérer une certaine décote du groupe face aux grandes multinationales pétrolières. Cette décote doit cependant rester légère car le profil de croissance de l’entreprise reste exceptionnel pour le secteur.
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