Préambule : suite à mes mésaventures avec mon ordinateur, il m’a été impossible de publier quelques articles sur le Brésil quand j’y étais. L’article suivant a donc été réalisé en septembre 2006 mais publié qu’aujourd’hui.
Certains d’entre vous ont peut être déjà eu l’occasion de monter à bord d’un Embraer, ces petits jets régionaux. D’autres connaissent juste le nom quand certains ne savent pas encore que Brésil est devenu un grand acteur aéronautique dans le monde.
Globalement le secteur de l’aéronautique représente 500 entreprises dans le pays et emploie 50 000 personnes. Le pays possède la 5ème flotte d’avions d’affaire au monde, la 2ème flotte agricole, le 7ème parc d’hélico et surtout le troisième constructeur mondial d’avions commerciaux.
Embraer, l’entreprise-phare du secteur, a été fondée en 1969 pour équiper l’armée de l’air brésilienne et rendre le pays moins dépendants d’importations étrangères. Puis l’entreprise s’est développée dans des petits modèles civils de turbopropulseurs (avec l’EMB 110 et 120). Enfin dans les années 90, elle a lancé ses premiers jets régionaux de 33 à 55 places (les ERJ 135 et 145) en copiant deux concepts importants d’Airbus : le concept de famille d’avion sur une même base et la forte externalisation de la production. Le lancement d’avions régionaux à réaction a été la raison du relèvement du groupe en difficulté préalablement. Le nombre d’avions livrés est ainsi passé de 32 en 1997 à 141 en 2005. Plus récemment, le groupe a élargi sa gamme pour proposer des avions de plus grande taille (de 70 à 108 places) dont les premiers ont été livrées en 2004. Aujourd’hui, Embraer se concentre sur le lancement d’une famille entière d’avions d’affaire, au début à partir des plate-formes existantes (le Legacy) et à terme sur de nouvelles plate-formes.
On peut juger du sérieux de l’entreprise à l’aune de deux facteurs : en premier lieu, on commence à voir des grands leasers mondiaux s’engager à acheter des Embraer (tels que Gecas, la filiale de lease de General Electric) ; ce qui signifie qu’ils n’auront pas trop de mal à placer leurs avions acquis ultérieurement et que l’appareil se déprécie peu au cours du temps. En deuxième lieu, on note une part de plus en plus importante des partenaires reconnus qui partagent le financement de nouveaux programmes : sur la famille 170-190, les partenaires partageant le risque du projet ont représenté 2/3 du financement. Ce sont Kawasaki, United technologies ou encore le français Latécoère.
Embraer a été privatisé en 1994. Son capital est contrôlé par 3 grands groupes d’investisseurs brésiliens (qui avaient jusqu’à présent 60% de ses droits de vote) auxquels s’ajoute une alliance de société française (Dassault, Thalès, Snecma et EADS) qui contrôlaient il y a peu encore 20% des droits de vote. Une restructuration du capital est en train d’avoir lieu qui annulera les actions à dividende prioritaire et facilitera l’échange du capital (notamment sur le NYSE). Les 3 grands groupes conserveront cependant la minorité de blocage.
L’année 2002 a marqué une étape importante dans le développement du groupe : d’une part, Embraer a installé son premier centre de maintenance hors du Brésil (aux USA) et d’autre part, il a signé avec Avichina un accord de production de son petit modèle 145 en Chine.
Les résultats récents d’Embraer :
En norme comptable américaine (US Gaap), le chiffre d’affaires en 2005 s’est élevé à 3,8 milliards de dollar en hausse de 11,3% pour un résultat net de 446 millions en hausse de 17%. On notera que sa marge opérationnelle a nettement baissé (passant de 15,8% à 13,2%) du fait de la dépréciation du dollar et d’une moindre profitabilité des premières ventes de sa famille d’avions 170-195. Mais la marge nette reste stable grâce à une baisse de l’imposition.
La branche commerciale représente l’essentiel de son activité (2,7 milliards de CA en hausse de 5% soit 71% des ventes du groupe). Le militaire et les ventes au gouvernement ont représenté près de 16% du chiffre d’affaires total. Enfin, il reste une activité d’avions d’affaire émergente et de services au client. A noter enfin que le groupe a dégagé d’important free cash flow et qu’il a dorénavant 360 millions de dollars de trésorerie nette.
Au cours de l’année, Embraer a livré 120 avions commerciaux contre 134 l’année précédente. Mais il a profité de livraisons en forte hausse de sa nouvelle famille d’avions régionaux de grande taille au prix unitaire plus élevé. On notera ainsi durant l’année 2005, la première vente de l’EMB 175 à Air Canada et de l’EMB 190 à Jetblue, deux clients essentiels dans le carnet de commandes du groupe ; le premier se restructure à partir de cette nouvelle plate-forme alors que le deuxième lance le concept de compagnies à bas pris sur des vols régionaux. A civiol s’ajoute la livraison de 6 avions d’affaire, la modernisation de 2 F5 de l’armée brésilienne et la livraison de 24 super Tucanos, des petits avions militaires à hélice.
En 2005 son carnet de commandes est resté stable à 10,4 milliards de dollar (soit 367 avions régionaux dont 322 de la nouvelle famille 170-195), ce qui apparaît décevant vu la forte reprise de trafic aérien connue depuis 2 ans. Embraer a gagné plusieurs grandes commandes : d’une part 2 contrats de Tucanos pour 48 appareils, dont l’un à l’export, et d’autre part près de 95 commandes de sa nouvelle famille d’avions régionaux. Malheureusement en janvier 2006, le groupe a appris l’annulation du contrat ACS (Aerial Common sensor) avec l’armée américaine pour fournir les plate-formes (avions) de système de surveillance de l’US Force et de la Navy. Ce contrat marquait une rupture dans les exportations militaires vu sa taille (l’ensemble du contrat en assocation avec Lockheed martin, le principal bénéficiaire, représentait 7 milliards de dollar) et l’importance du client (les Etats-Unis dépensent 78 milliards de dollar par an en achat). L’US Navy qui s’est rajoutée de l’armée de terre a rendu le projet plus complexe et alourdi l’équipement nécessaire. Dès lors la plate-forme utilisée (l’ERJ 145) devenait trop petite. Le bénéficiaire du nouvel appel d’offre pourrait être étonnament l’américain Boeing !
Les perspectives du groupe :
Les perspectives dans l’aéronautique commerciale :
Embraer anticipe une croissance importante du marché des avions régionaux à réaction (de 30 à 120 places) sur les 20 prochaines années, grâce à la substitution des turbopropulseurs par des avions à réaction plus rapide et confortable, par le remplacement naturel d’une flotte existante âgée et du fait de la croissance de la demande asiatique. En premier lieu, la substitution des turbopropulseurs par des avions à réaction est un phénomène qui a eu lieu depuis 5 ans. Aux Etats-Unis par exemple la flotte nationale de turboprop est passée de 1599 appareils à 740 entre 2000 et 2005. Sur la même période le nombre de jets régionaux est passée de 36 à 1358. Les turboprop ne sont dorénavant plus concurrentiels que sur des distances inférieures à 250 milles nautiques. Cette substitution devrait se poursuivre en Amérique du Nord, s’accélérer en Europe et commencer en Asie. En deuxième lieu, on notera que 35% de la flotte mondiale d’appareils de moins de 120 places a plus de vingt ans et devront nécessairement être remplacées. Quant à juger de la demande des pays émergents, cela se révèle un exercice encore périlleux : la Russie pourrait retarder le renouvellement de sa flotte pour privilégier un nouvel appareil domestique, les marchés régionaux indien et brésilien sont encore peu développés, et la Chine semble enfin s’intéresser à développer les capacités régionales.
Embraer met aussi en évidence le fait que de nombreuses lignes aériennes dans les pays riches pourraient être encore ajustées pour améliorer leur profitabilité à mesure que les restrictions de vol diminuent (ie la scope clause). Le groupe note que la profitabilité des compagnies régionales est très élevées car les vols sont très différenciés et la concurrence faible (par exemple pour Continental ou Delta de 30 à 40% de leurs vols régionaux sont en situation de monopole). Le succès de l’aviation régionale est donc indéniable –la part de marché est passé de 5% du trafic américain en 2000 à 11% aujourd’hui- et le secteur semble porteur. De plus, l’apparition de vols régionaux à bas prix (à l’instar de Jetblue) pourrait être un accélérateur de la demande d’avions régionaux.
Embraer anticipe ainsi la vente de 7000 appareils en 20 ans soit 350 par ans en moyenne (et si on oublie que l’industrie aéronautique est fortement cyclique). Il considère pouvoir prendre une grande part du gâteau grâce à l’affaiblissement de son unique réel concurrent (Bombardier a arrêté la production de ses petits jets régionaux) et le temps que de nouveaux concurrents émergent (en Russie et en Chine). A croire les performances passées on peut raisonnablement penser que l’entreprise brésilienne s’imposera comme le leader mondial de l’aéronautique régionale. Depuis 6 ans en effet, ses parts de marché ont fortement cru : dans les petits jets (30 à 60 places) elle est passée de 7% (contre 93% pour Bombardier) à près de 50% aujourd’hui. Dans les jets de 61 à 90 places, elle est passée de 23% à 36% (contre le même concurrent). Enfin dans les jets de 91 à 120 places, si Embraer n’avait que 11% du marché en 1999 face au 44% de Boeing ou 45% d’Airbus, le brésilien a obtenu en 2005 près de 58% de marché alors que les deux grands avionneurs mondiaux s’effacaient. En terme de prise de commandes, tout dépendra à court terme de l’attitude de son concurrent canadien Bombardier qui profitait de taux très bas du financement de ses exportations par l’agence canadienne en charge. Le règlement au sein de l’OMC a eu lieu et les deux parties en présence, le Brésil et le Canada, proposent temporairement des mesures de financement assez proches. La différenciation se fait dorénavant sur le produit.
Les perspectives dans l’aéronautique d’affaire :
Le deuxième axe de développement du groupe est l’aviation d’affaire. Si le groupe s’y est développé très prudemment –commencant d’abord par la transformation d’un avion régional 135 en avion d’affaire- il compte produire à terme une famille entière de jets d’affaire. Selon Embraer, ce serait un marché de quelques 144 milliards de dollar (10 000 avions) sur les 10 prochaines années.
Le manque d’offre de transport pour la clientèle haut de gamme, le baisse du prix des avions- on trouve maintenant des avions neufs à seulement 1,5 millions de dollar !-, le grand succès rencontré par la multipropriété d’avions d’affaire devraient permettre une forte croissance des ventes de jets.
Aujourd’hui le groupe n’a qu’un produit dans le secteur super-moyen dont il compte écouler 25 à 30 unités par an ces prochaines années. Mais il devrait entre fin 2008 et 2009 sortir deux nouveaux appareils dans le secteur bas de gamme (dit léger ou 4 à 6 passagers) où la concurrence est faible et où Embraer compte proposer des appareils plus grand pour un coût d’utilisation inférieur (de 12 à 18%) aux appareils concurrents (majoritairement Cessna). Juger du succès aujourd’hui de ces deux nouveaux appareils (Phenom 100 et 300) est encore prématuré, mais Embraer a déjà réussi à placer 235 appareils auprès de clients pour 1,25 milliards de dollar !
Le développement d’une gamme d’avion d’affaire pourrait s’avérer être un vrai succès mais cela rend le groupe plus cyclique encore (car à la moindre récession la dépense d’avions d’affaire est l’une des premières à être supprimées).
L’évolution des marges et les risques du groupe :
La marge opérationnelle (qui est le meilleur indicateur) pourrait être contrite par la hausse des amortissements et ce que l’on appelle la courbe d’apprentissage sur la nouvelle famille 170-190. Ce dernier point signifie qu’en début de production la marge est moins élevée car le cycle de production d’un appareil est long. Avec le temps le cycle diminue (de plusieurs semaines ou plus) et la marge peut s’améliorer. A moins naturellement que le trafic aérien chute et que l’entreprise accorde des décotes plus importantes pour vendre ses avions.
Un second facteur important est l’évolution des monnaies. 93% ventes se font en dollar et les coûts de production hors achat (aussi en dollar) sont majoritairement en reals (à 83%). Embraer est peu couvert et subi l’appréciation du real (+12% par exemple en 2005) face au dollar. Mais cela est atténué à deux niveaux : la concurrence subi aussi l’appréciation de sa monnaie de référence (le dollar canadien pour Bombardier) et la production est fortement externalisé (les blocs assemblés sur l’appareil sont payés en dollar).
Globalement, il me semble inévitable que les marges très élevées par le passé reviennent à des niveaux plus communs dans l’industrie aéronautique. Mais le groupe possède divers avantages (un coût de main d’œuvre bas, des frais fixes amortis sur une production en hausse) qui pourraient lui permettre de maintenir des marges élevées dans le futur.
Reste un dernier problème : le risque financier de l’entreprise. En effet un constructeur aéronautique garantit régulièrement la valeur de revente de ses appareils achetés ou facilite le financement de ses ventes. Le risque donc de hors bilan est de 2,1 milliards de dollar et ne doit pas être oublié car une grande partie de sa clientèle de compagnies aériennes a une profitabilité précaire. Reste qu’il y a peu d’avions Embraer non utilisés sur le marché, que le trafic aérien est porteur, que la dépréciation des avions est plutôt inférieure aux concurrents et qu’une partie de ce risque est couvert. A court terme le risque financier du groupe – d’autant plus qu’il conserve une trésorerie nette importante- est faible.
Conclusion :
Embraer est une très belle société qui possède un marché porteur et des marges élevées. Son principal risque est que l’un de ses gros clients (notamment Jetblue) n’arrive à se développer ou se restructurer assez vite et doivent revoir ses livraisons d’appareils. Le cours du titre pourrait grimper à mesure de nouvelles commandes (à l’instar d’une commande chinoise de 100 appareils il y a 2 mois) qui se font encore attendre.
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