Cela fait maintenant quelques jours que je suis parti d'Iran pour l'Inde. C'est donc l'occasion de formuler une conclusion sur la Perse. Elle est la suivante: je n'y crois pas.
Pourquoi? Le pays a un grand nombre de facteurs positifs- une position au milieu d'une region dynamique, une rente petroliere de plus en plus elevee, une main d'oeuvre qualifiee...- qui dans une autre situation politique aurait certainement permis a ce pays de decoller.
Seulement voila, dans les economies emergentes, tout est politique. Et en ce qui concerne l'Iran, on ne sent pas le vent d'une liberalisation prochaine. Un petit chiffre devrait appuyer mon opinion: malgre des excedents importants, le pays est en crise. Pres de 70MME du patrimoine des riches iraniens-selon des sources officieuses- seraient partis a l'etranger. D'ou la reaction du gouvernement actuel qui n'arrive pas a endiguer la situation actuelle et a declare l'evasion fiscale comme un crime majeur. Alors certes il y a quelques investissements tape a l'oeil dans le domaine des hydrocarbures ou de l'automobile, mais en terme relatif, cela est negligeable.
Le plus important est donc de comprendre ce qui se passe au niveau politique. Je vous fais donc profiter de discussions avec des diplomates europeens pour donner un bref apercu de la situation actuelle.
Premierement, revenons a la revolution de 1979. Khomeiny avait reuni autour de lui toute une generation de decus du chat allant de l'extreme gauche, aux clercs et aux bazaris, ces grands marchands dont ceux de Teheran controle pres du tiers du commerce du pays. L'alliance entre clercs et bazaris a perdure longtemps mais les autres membres de l'opposition a l'origine du renversement du Shah ont ete liquides ou ont fuit. C'est constitue alors toute une generation de Mollah qui prendront petit a petit la main sur l'economie du pays. A noter un point interessant: la majeure partie des ces revolutionnaires ont vecu a l'etranger.
Suit alors une politique avant tout ideologique- explosion de la natalite, progression sociale-qui a de graves consequences economiques. Le precepte etait que l'intendance suivra. Naturellement elle n'a pas suivi. Mais le gouvernement en mal de legitimite va profiter d'un evenement heureux: la guerre Iran Irak. Le biais ideologique va donc s'amplifier avec notamment une dimension nationaliste. La societe va etre encadre par une sorte d'elite pretorienne- les pasdaran ou gardiens de la revolution- charge d'encadrer des volontaires fondamentalistes. Tous les iraniens ayant participe a la guerre vont pouvoir profiter d'avantages importants (ie l'acces a l'universite sans les diplomes adequats...). Parallelement les Pasdarans vont devenir des acteurs majeures de l'economie en controlant les grandes fondations iraniennes proprietaires de la majeure partie des grandes entreprises du pays.
Puis les evenements se precipite vers 1988 et 1989. La mort de Khomeiny va deligitimer le role de guide supreme et revaloriser celui de president de la republique. Des demandes sociales qui avaient ete mises en sommeil durant la guerre vont resurgir a la fin de celle-ci. C'est donc durant la decennie 1990 que l'on voit emerger des premiers reformes portees par quelques Mollah eclaires par les avantages qu'ils pourraient en tirer. J'ai nomme les Khatami, Rafsandjani et compars. Le probleme majeur vient de leur forte corruption et de la lenteur du processus qui patit d'un systeme politique complique favorisant les contre-pouvoirs et empeche toute grande reforme d'aboutir. Les citoyens de plus en plus decus ont tendance alors a ne plus croire aux espoirs et a se detourner du vote.
C'est peut etre ce qui s'est passe durant la derniere election. Il y a eu plusieurs temps; d'une part, la volonte des conservateurs d'empecher la candidature en 2004 de deputes reformistes ayant demissionne. Puis l'election d'un inconnu. Ahmadinejad a la presidence. Certes le vote a ete truque (peut etre 3 millions de voix) mais il reste qu'une grande partie de la population a sanctionne les dirigeants passes en n'allant pas voter le jour J. Ce qui a laisse la place aux plus conservateurs. Mais il faut analyser cette election plus finement. Plus qu'un retour des conservateurs, c'est un changement de generation. Ahmadinejad est symbolique de la generation des 40-50 ans, anciens pasdarans, formes durant la guerre Iran Irak, qui desirent dorenavant obtenir le pouvoir. Ils sont en butte avec les anciens Mollah dirigeant toujours l'economie du pays (et jusqu'au ministere du petrole). Chacun tente de prendre le dessus sur l'autre. Ahmadinejad manquant de legitimite- je n'ai pas rencontre un iranien le soutenant- il recherche un grand elan nationaliste autour de sa personne afin d'en regagner. On comprend mieux alors ses positions fantaisistes sur le nucleaire et Israel.
Au niveau economique, on ne voit pas pourquoi le president actuel favoriserait les reformes. Car en effet cela reviendrait a aider ses adversaires principaux proprietaires des actifs dans le pays. Il faudra donc attendre que la generation des 40-50 ans s'installent definitivement aux affaires pour qu'une nouvelle vague de liberalisation survienne. Reste que c'est une course contre la montre, car avec 30% de chomage et malgre la passivite des iraniens, c'est une situation explosive. En somme, si les revenus petroliers permettent au gouvernement de maintenir les subventions et d'acheter le peuple, la reforme economique va prendre du temps. Si les revenus petroliers chutent, le pays connaitra une grave crise politique et economique. Dans un cas comme dans l'autre, je ne vois pas un avenir radieux pour le pays.
En somme l'Iran est un pays qui a tout pour reussir mais ne reussira pas. A moins d'un coup de main venant de l'etranger...
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